(Ottawa) Bail standard à l’échelle du pays, charte pour garantir les droits et amélioration de la cote de crédit, le gouvernement Trudeau prévoit changer la vie des locataires dans son prochain budget. Mais ces mesures ne passent pas à Québec, qui répond qu’Ottawa doit réduire l’immigration s’il veut atténuer la crise du logement.

M. Trudeau et la ministre des Finances, Chrystia Freeland, ont donné un avant-goût de certaines mesures du budget fédéral attendu le 16 avril. Il se résumera en un mot : « équité ».

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La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland

« Lorsque nous regardons l’économie de nos jours, cela ne semble tout simplement pas très juste », a affirmé le premier ministre. L’inflation, les loyers élevés et l’incertitude ici et ailleurs dans le monde font en sorte que « beaucoup de gens se sentent coincés ou pires comme s’ils prenaient du retard ».

Il a fait cette annonce à Vancouver mercredi, où le loyer moyen d’un 3 1/2 dépasse 2600 $, selon le site Rentals.ca. D’autres ministres de son cabinet ont effectué la même annonce d’un bout à l’autre du pays. Elle visait surtout les milléniaux et les membres de la génération Z, « qui sont les plus susceptibles d’être des locataires », précise le communiqué.

Deux des trois mesures annoncées sont perçues comme des incursions sans précédent dans les champs de compétence du Québec par le gouvernement Legault, qui a été pris par surprise.

« La réalité, c’est que les gens font face à une crise du logement partout au pays », s’est défendu Justin Trudeau.

L’idée de créer un registre des loyers n’avait pas été retenue dans sa Loi modifiant plusieurs dispositions législatives en matière d’habitation (projet de loi 31) adoptée en février, car jugée trop coûteuse. Or, Ottawa veut maintenant créer une nouvelle charte canadienne des droits des locataires en collaboration avec les provinces et les territoires. En vertu de cette charte, les propriétaires devraient fournir un historique des loyers pour permettre aux locataires de « négocier équitablement ». Le gouvernement fédéral veut également créer un bail standard à l’échelle du pays.

Pour Québec, « c’est non »

Le gouvernement Legault a déploré qu’Ottawa l’ait tenu dans l’ignorance en préparant ce plan. « C’est très cavalier comme manière de fonctionner », a dit le ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge.

Il affirme qu’il « n’est pas question de tolérer ce nouvel envahissement des champs de compétence du Québec ». « La réponse est simple, c’est non. »

M. Roberge estime que si le gouvernement fédéral veut « contribuer » à réduire la crise du logement, il n’a qu’à réduire l’immigration temporaire et le nombre de demandeurs d’asile. Avec sa politique d’immigration, le gouvernement Trudeau « augmente artificiellement la demande pour le logement, il cause une partie du problème », a-t-il dénoncé.

De son côté, la ministre France-Élaine Duranceau souligne que le Québec ne va pas changer de régime législatif et que c’est le Code civil qui s’applique. Pas question de commencer à négocier ce qui se trouve dans les baux. Elle rejette également l’idée d’un registre des loyers.

Elle estime que l’adoption du projet de loi 31 cet hiver règle la question en menaçant les propriétaires d’une amende s’ils ne remplissent pas la clause G, une section du bail qui indique le loyer le plus bas des 12 derniers mois. « Le coût de maintien de ces registres annuellement et de s’assurer que l’information est bonne, on a estimé que ça coûtait trop cher. On l’a regardé deux fois plutôt qu’une, on considérait que ce n’était pas la façon de procéder », a-t-elle dit.

La création du registre s’élevait à 50 millions et son maintien à 20 millions par an, selon son bureau.

Cette nouvelle « ingérence pleine et entière dans la compétence du Québec » a également été dénoncée par le Bloc québécois. Son porte-parole en matière de solidarité sociale, Denis Trudel, a déploré « la multiplication des programmes ciblés et compliqués, créant une lourdeur et une confusion qui retarde la réalisation des projets de construction ».

Protection des locataires

Le gouvernement Trudeau affectera également 15 millions à un nouveau fonds de protection des locataires afin de financer des organismes d’aide juridique qui les aident à contester les hausses de loyer jugées injustes et les rénovictions ainsi qu’à les protéger contre les mauvais propriétaires.

La Charte hypothécaire canadienne sera aussi modifiée pour que les loyers payés à temps soient pris en compte dans le calcul de la cote de crédit des locataires et leur permettent d’obtenir un taux d’intérêt plus favorable lorsqu’ils voudront acheter une propriété.

Si tu peux payer un loyer de 2000 $ chaque mois, ça rassure les institutions [financières] que tu peux payer une hypothèque chaque mois.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

« Des mesurettes », selon le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice. « Ce qu’on aurait voulu voir au NPD, c’est un vrai fonds d’acquisition de terrains ou de bâtiments pour créer du logement abordable avec des organismes à but non lucratif et s’assurer que les logements demeurent abordables dans le temps. »

« La séance de photos d’aujourd’hui n’est qu’une nouvelle série de mesures vides de sens qui ne permettront pas de bâtir les logements dont les Canadiens ont besoin », a réagi à son tour le porte-parole conservateur en matière de logement, Scott Aitchison.

D’autres annonces ayant pour thème l’équité sont prévues d’ici le dépôt du budget à la Chambre des communes.