Finalement, les juges « nommés par Ottawa » ne sont pas si mauvais…

François Legault se méfiait de la Cour d’appel, dont il a remis en question l’impartialité il y a une semaine à peine. Avec la décision sur la Loi sur la laïcité de l’État, le gouvernement caquiste craignait une défaite. Il a plutôt gagné sur toute la ligne.

Certes, il n’est pas impertinent de s’interroger sur le mode de nomination des juges. Après tout, c’est une demande historique du Québec. Mais le chef caquiste l’a formulée à un drôle de moment. Elle trahissait son agacement et sa nervosité.

Avec la montée du PQ, M. Legault cherche plus que jamais à montrer que son gouvernement peut faire des gains nationalistes à l’intérieur du Canada. Et donc, qu’il existe une solution entre l’indépendantisme et le fédéralisme à la sauce provinciale.

La Cour d’appel vient de le confirmer. Le Québec n’obtient évidemment pas de nouveau pouvoir au sein de la fédération. Mais le tribunal relégitime une loi qui lui permet d’y développer un modèle distinct de société.

Cette victoire peut aussi être vue comme l’absence de recul. En première instance, le juge Blanchard s’était questionné sur l’usage préventif de la disposition de dérogation. Entre les lignes, on lisait son malaise personnel.

La Cour d’appel s’est limitée à un raisonnement juridique dépassionné. Le statu quo est ainsi. En attendant, bien sûr, le match final en Cour suprême.

Le PQ est le deuxième gagnant du jugement. Les juges n’ont évidemment pas soutenu la vision péquiste de la laïcité. Mais ils ne l’ont pas attaquée non plus. Pourtant, ils auraient pu.

Rien n’empêchait les juges d’écrire quelque chose comme : cette loi est à sa face même une atteinte inconstitutionnelle à la liberté de religion, mais à cause de la disposition de dérogation, nous ne pouvons pas l’invalider. Mais ils n’ont pas pris cette liberté.

Cela évite de fragiliser la vision péquiste selon laquelle la laïcité s’applique non seulement à l’État, mais aussi à certains individus qui le représentent.

Reste à voir ce que la Cour suprême en dira. Une défaite prouverait, selon le PQ, que le Québec est incapable d’affirmer sa différence à l’intérieur du Canada. Mais il n’aura pas à choisir entre ses principes et ses ambitions. Car peu importe l’opinion du PQ, à cette étape finale, il sera confiné au rôle de spectateur.

Viennent ensuite les libéraux et les solidaires.

On ne peut pas dire qu’au terme du jugement de la Cour d’appel, ils sont perdants. Ils reconnaissent déjà que la disposition de dérogation est en principe légitime, mais ils déplorent son utilisation préventive, surtout pour cette loi particulière. Et là-dessus, les juges ne disent rien. Car c’est une question entièrement politique.

Mais chose certaine, chaque fois qu’on parle de laïcité, l’agacement des libéraux et des solidaires est palpable. Ce n’est pas un dossier qui leur fait gagner des points. Et malgré eux, il va ressurgir. Lors de la prochaine campagne électorale, ils devront expliquer pourquoi ils ne veulent pas renouveler la disposition de dérogation aux deux chartes (le PLQ) ou à la charte québécoise (QS).

Il est frappant de voir à quel point la CAQ et QS ont évolué sur ce dossier.

En 2013, François Legault était peu intéressé par la laïcité. Par réflexe, il a pris une position de compromis, entre celles des péquistes et des libéraux, en prônant une interdiction des signes religieux pour les agents qui exercent l’autorité coercitive (policiers, procureurs de la Couronne, juges, gardiens de prison) et « morale » (enseignants) de l’État. Il espérait surtout qu’on passe à autre chose…

QS avait une réflexion plus élaborée. Sa co-porte-parole Françoise David avait déposé un projet de loi collé aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor qui aspirait à rassembler un maximum de Québécois. « Il faut une Charte de la laïcité forte, car la montée des fondamentalismes et du conservatisme religieux, y compris en Amérique du Nord, fait de la laïcité des institutions un enjeu important. Les femmes, en particulier, savent que leurs droits sont bien mieux protégés dans un État laïque, à l’abri des conservatismes religieux qui voudraient contrôler leur corps et leur vie », déclarait-elle dans un communiqué officiel du parti.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancienne co-porte-parole de Québec solidaire, Françoise David

QS soutenait que la « laïcisation des institutions du Québec n’est toujours pas terminée ». « C’est l’État qui est laïque, pas les individus », arguait le parti de gauche. Mais le port de signes religieux pouvait être interdit pour une petite catégorie de métiers indissociables de l’État (juges, policiers, procureurs de la Couronne et gardiens de prison).

« Le voile n’est pas un symbole anodin, ajoutait Mme David. Il est à l’image de tous les symboles et de toutes les règles qui dans la plupart des religions infériorisent les femmes. » Mais elle s’empressait de préciser que le « droit au travail » devait aussi être protégé.

Depuis, une nouvelle génération a pris les commandes de QS et la position a évolué, à l’image de Charles Taylor qui renonce désormais à interdire les signes religieux. Le parti utilise ses principes de départ pour en arriver à une autre conclusion. Au lieu de porter un regard critique sur les pratiques religieuses, les solidaires préfèrent défendre les droits des minorités.

La perception de la laïcité change en même temps que la démographie du Québec. Et en réaction, celle de M. Legault évolue aussi. Plus ses adversaires l’accusent d’intolérance, plus la laïcité devient un symbole important. Il la défend au nom du droit du Québec de faire ses propres choix. Et il y voit une pièce stratégique importante. Car face à la montée du PQ, son nationalisme a plus que jamais besoin de victoires.