Le dernier budget du Québec a révélé un déficit structurel important qu’il faudra résorber dans les prochaines années. Pour ce faire, il nous semble mal avisé de procéder à une réduction significative des dépenses publiques. Des coupes dans des services publics déjà au bord de la crise nuiraient à la santé de la population, augmenteraient les inégalités éducatives et économiques, tout en retardant la transition environnementale. Il faut donc réfléchir à une manière d’augmenter les revenus de l’État.

La récente baisse d’impôt du gouvernement du Québec était certainement imprudente considérant la situation fiscale de la province, mais l’annuler ne serait pas suffisant pour résorber le déficit. D’autres solutions doivent être envisagées.

Le 3 avril, nous avons participé à une journée de réflexion sur les inégalités de patrimoine organisée par l’Observatoire québécois des inégalités. Nous avons proposé des solutions pour réduire les inégalités de patrimoine et générer des revenus nécessaires pour les gouvernements.

À notre avis, il faut imposer davantage le gain en capital, soit le revenu tiré de la vente d’un bien dont la valeur s’est appréciée.

La valeur nette des ménages a augmenté significativement dans les dernières décennies. Cela s’explique par une croissance exponentielle des valeurs boursières et immobilières. Or, le patrimoine est encore plus inéquitablement réparti que les revenus, alors que les 20 % les plus riches possèdent plus des deux tiers de la richesse au Canada.

Les gains en capital sont encore plus fortement concentrés, alors que 82 % des gains en capital sont générés par les 10 % les plus riches et 57 % par le top 1 % ⁠1. Cette concentration du patrimoine se transmet d’une génération à l’autre et nuit à la mobilité intergénérationnelle⁠2.

Le gain en capital n’est que partiellement inclus au revenu imposable. Un individu qui vendrait pour 200 $ une action achetée 100 $ n’a à inclure que 50 % du gain de 100 $ ainsi obtenu, soit 50 $. En pratique, cela signifie que le gain en capital est imposé à un taux moitié moindre que les autres revenus comme les salaires ou les dividendes. Cette disposition est en place sous une forme ou une autre depuis 1972, principalement à des fins de protection contre l’inflation et d’incitation à l’investissement.

Notre régime offre également une exonération complète de l’impôt sur le gain en capital réalisé lors de la vente de sa résidence principale et une exonération complète, mais plafonnée par individu, lors de la vente d’actions de petites entreprises admissibles, de biens agricoles ou de pêche.

Moins d’impôt au sommet de l’échelle

Les gains en capital constituent une part très importante des revenus des personnes appartenant au 0,1 % les plus riches et ils expliquent que les taux d’imposition effectifs chutent au sommet de l’échelle des revenus⁠3, contrairement à ce que prévoit un système d’imposition progressif.

Les contribuables du milieu de la distribution des revenus reçoivent également des gains en capital à un moment ou l’autre de leur vie, mais il s’agit de sommes ponctuelles et bien plus petites.

Nous préconisons donc l’inclusion complète du gain en capital au revenu imposable. L’imposition du gain en capital est une façon administrativement efficace d’imposer la richesse.

Elle s’applique lorsque des liquidités sont disponibles, puisqu’une vente a effectivement eu lieu, et elle permet d’imposer les héritages, puisque notre système prévoit la réalisation des gains au décès. Quant aux mesures d’exception, une des avenues les plus simples serait de combiner l’exonération pour la résidence principale avec celle qui touche les actions de PME et les actifs agricoles et de pêche.

Un plafond à vie par personne de près de 1 000 000 $ maintiendrait le statu quo pour la grande majorité de la population, tout en décourageant la spéculation immobilière de la part des personnes disposant d’épargnes importantes.

Ces sommes contribueraient d’ailleurs bien plus à la croissance de notre productivité si elles étaient investies dans nos entreprises plutôt que dans des logements. Il n’y a par ailleurs pas d’études indiquant que l’inclusion partielle du gain en capital ait contribué à l’investissement.

Le gouvernement du Québec estime⁠4 que l’inclusion partielle du gain en capital le prive de près de 2,4 milliards de dollars en 2023 et que le manque à gagner pour la vente de résidences principales est de 1,1 milliard. Récupérer ne serait-ce qu’une partie de ces sommes contribuerait significativement à résorber le déficit structurel québécois.

Toutefois, une telle réforme n’est pas envisageable sans la participation du gouvernement fédéral, puisque de nombreux actifs sont mobiles. Nos suggestions sont inspirées par les travaux⁠5 de collègues économistes de partout au Canada, desquels se dégage un large consensus quant à la nécessité d’imposer de façon plus importante ces gains. Bref, si le Québec s’engage sur cette voie, il trouvera des alliés ailleurs au pays.

Face aux inégalités et aux défis auxquels nos finances publiques sont confrontées, il est temps que les gouvernements repensent leur manière d’imposer le gain en capital.

1. Lisez « Why won’t Canada increase taxes on capital gains of the wealthiest families ? » (en anglais) 2. Lisez « Income Inequality, Equality of Opportunity, and Intergenerational Mobility » (en anglais) 3. Lisez « How Progressive is the Canadian Personal Income Tax ? A Buffett Curve Analysis » (en anglais) 4. Consultez la page Dépenses fiscales 2023 du ministère des Finances 5. Consultez la Revue fiscale canadienne Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue