Ne retenez pas trop votre souffle : la chasse aux économies pourrait être modeste. La révision des programmes et de la fiscalité annoncée par le gouvernement caquiste se butera à plusieurs obstacles : données imprécises, manque d’indépendance et lobbys mobilisés.

En mars, le ministre des Finances, Eric Girard, a déposé un budget avec un déficit de 11 milliards (en incluant les réserves de précaution et les versements au Fonds des générations pour rembourser la dette). Le déficit structurel s’élèverait à environ 4 milliards. Pour le résorber, il a commandé une révision des dépenses et de la fiscalité.

Cet exercice se fera toutefois à l’interne. Il sera plus politique que les précédentes versions.

En 2014, des rapports avaient été commandés à des chercheurs indépendants. Ils interagissaient avec la haute fonction publique, et non avec les élus.

Ce manque de recul peut rendre sceptique. Des gens qui ont participé à l’élaboration de programmes devront déterminer ceux qui ne fonctionnent pas bien. La liste pourrait être courte.

Les données sont aussi imprécises, ce qui compliquera le travail de ceux qui vérifieront s’ils atteignent leurs objectifs. Pour prendre un exemple connu : le Québec est exclu des études canadiennes sur le cancer parce que ses statistiques ne sont pas assez fiables.

Vrai, le ministre de la Santé, Christian Dubé, travaille activement à corriger ce problème. Mais avec la création de Santé Québec et les ruptures de services, il sera difficile de trouver des économies substantielles. La même logique vaut en éducation, le deuxième poste de dépenses de l’État.

Autre exemple, les municipalités. D’une part, elles peinent à payer pour leurs responsabilités croissantes. D’autre part, certaines contrôlent mal leurs dépenses, comme l’a souvent mesuré Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

En 2015, le chercheur avait participé à la révision des programmes commandée par le gouvernement Couillard. Le lobby municipal avait réagi en exigeant de ne plus devoir partager certains indicateurs de gestion, et Québec a cédé.

La marge de manœuvre s’annonce également faible pour la révision de la fiscalité.

Là aussi, ça se fera à l’interne. Certes, les données y sont meilleures. Mais les options seront limitées. M. Girard balise l’exercice : pas question de proposer une hausse de la TVQ ou des impôts. Au contraire, François Legault a indiqué qu’il espérait encore poursuivre la baisse des impôts dans un prochain mandat.

Dans son dernier budget, M. Girard a fait preuve de courage. Il a osé faire du ménage dans les crédits d’impôt aux secteurs des jeux vidéo et de l’informatique. Il s’appuyait en partie sur les recommandations de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Le ministre a toutefois prévenu qu’il ne toucherait plus à ce secteur.

Le titulaire de la Chaire, Luc Godbout, avait aussi signé en 2015 le rapport de la révision de la fiscalité commandé par le gouvernement Couillard. Plusieurs mesures audacieuses avaient été écartées, comme celle de taxer la surconsommation résidentielle d’électricité.

À l’époque, son rapport proposait une réforme à coût nul. Cette fois, si le ministre Girard ne sort que le bâton, il aurait encore plus de difficulté à vendre sa réforme.

Pourtant, il y a un ménage à faire. Par exemple, le Québec offre davantage de crédits d’impôt aux entreprises que l’Ontario – jusqu’à trois fois plus, selon le Centre sur la productivité et la prospérité. Si cela triplait notre productivité, on le saurait.

Chaque année, les programmes s’additionnent. On en enlève rarement. Ce n’est pas pour rien : les citoyens se plaignent du manque de services. Or, les revenus ne suivent pas la même trajectoire, ce qui crée une pression sur les finances publiques.

À gauche, la révision des programmes est moins populaire. On craint l’austérité. Pourtant, plus on souhaite que le filet social soit généreux, plus son efficacité devient importante. C’est la condition de la viabilité financière de ce modèle.

Idéalement, cette révision devrait être un mécanisme permanent. Or, ça n’a jamais été une priorité. La preuve, M. Girard hésite encore à créer un Directeur parlementaire du budget, comme à Ottawa.

Et il y a le cycle politique. Ces exercices fonctionnent mieux quand ils sont lancés en début de mandat. Quand il recevra ses recommandations, le gouvernement caquiste sera probablement en période préélectorale. Le pire moment pour sortir les ciseaux.

Et l’histoire récente démontre que ce n’est pas en jasant de finances publiques qu’on gagne des élections.