Il existerait maintenant deux Québec, entend-on parfois : les régions et Montréal (avec les autres centres urbains). Même si le clivage est réducteur, il comporte une bonne part de vérité.

Ce phénomène s’observe aussi dans le reste du Canada et dans d’autres pays. Et il explique le relativement faible intérêt accordé à la détresse des agriculteurs. À l’Assemblée nationale, les partis s’y intéressent, mais le débat n’a pas un écho national. Du moins, pas à la hauteur de son importance.

Des producteurs agricoles craignent le pire. Les raisons : explosion du coût des intrants (qui ralentit toutefois), concurrence déloyale à cause du libre-échange, évènements météo extrêmes plus fréquents avec le dérèglement climatique, programmes d’aide jugés inadéquats, investissements exigés par les nouvelles normes pour l’environnement et le bien-être animal et taux d’intérêt qui en alourdissent les charges, et enfin, hausse du prix des terres et des taxes qui viennent avec.

Dans la dernière décennie, le revenu net annuel moyen du secteur agricole québécois, après amortissement, se situait entre 1 et 1,2 milliard. Selon la plus récente estimation de Statistique Canada, il fondra à 86 millions cette année. Certes, c’est une prévision, à interpréter avec prudence. Mais si elle s’avère, ce serait le plus faible chiffre depuis l’ère Duplessis, d’après l’Union des producteurs agricoles (UPA).

Avant d’aller dans le détail, un commentaire général.

Il n’est pas normal que ceux qui nourrissent la population peinent à subvenir à leurs besoins, surtout dans une société prospère comme la nôtre.

Politiquement, les demandes sont contradictoires.

D’une part, on veut minimiser la souffrance animale et l’empreinte écologique. De l’autre, à l’épicerie, le prix reste le premier critère, et on veut garder le même menu, peu importe la saison.

Sans évidemment vouloir l’autarcie alimentaire, on souhaite renforcer notre autonomie. Mais on consacre la majorité de nos terres au grain qui nourrit des animaux, pour des filières comme le porc qui sont surtout destinées à l’exportation.

On ne peut pas accomplir tout cela en même temps.

PHOTO ANDER GILLENEA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des agriculteurs manifestant à la frontière franco-espagnole, le 7 mars dernier

Comme le démontrent les manifestations de la France à l’Inde, la crise frappe un peu partout sous différentes formes.

Le libre commerce profite à nos producteurs qui exportent le sirop d’érable, le grain, le porc et le veau. Et les consommateurs en bénéficient à l’épicerie. Mais il fait aussi mal.

Le problème : le combat se fait à armes inégales, parce que les normes varient selon les États.

Par exemple, au Mexique, les travailleurs sont payés environ cinq fois moins que chez nous. Et aux États-Unis, le cinquième des fermes laitières utilise la somatotropine, une hormone de croissance interdite ici.

Que faire ?

Divers programmes d’aide existent pour les années difficiles. Pour certains d’entre eux, il n’y a pas de frais. Pour d’autres, comme l’assurance récolte, le producteur en finance 40 %.

Or, plusieurs producteurs maraîchers ne souscrivent plus à l’assurance récolte, qui est censée les protéger lors des années où la météo est mauvaise. Québec s’est engagé à la revoir en profondeur pour chaque culture.1

De nouveaux programmes sont aussi réclamés. Depuis 10 ans, la dette des producteurs est passée de 12,2 à 27,7 milliards. La hausse des taux d’intérêt fait donc mal. L’UPA voudrait une aide d’urgence jusqu’à la baisse des taux. Le gouvernement caquiste attend de recevoir une demande officielle précise. Il est hésitant. Il souhaite documenter les besoins et éviter de créer des iniquités. La Financière agricole peut déjà intervenir pour refinancer la dette des fermes en péril, dit-on à Québec.

Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, négocie avec le fédéral pour accorder une aide spéciale à des producteurs maraîchers ainsi qu’à ceux de foin en Abitibi, à la suite de la désastreuse année 2023.

Enfin, Québec a deux autres initiatives : un programme temporaire, en vigueur, pour rembourser jusqu’à 200 000 $ sur les intérêts de la marge de crédit durant trois ans, ainsi que des mesures à venir pour alléger la paperasse et d’autres fardeaux administratifs.

Et à plus long terme, une étude a été commandée à la firme Raymond Chabot Grant Thornton afin de savoir comment positionner notre industrie porcine dans le marché mondial.

Soutenons-nous assez notre agriculture ?

Au Québec, 6 % des revenus agricoles proviennent des transferts gouvernementaux. Soit plus que dans le reste du Canada (4 %). Mais moins qu’aux États-Unis (8 %). À noter que ce pourcentage chez notre voisin était dopé par l’aide temporaire offerte par Donald Trump durant la pandémie et le conflit commercial avec la Chine.

En incluant l’effet de la gestion de l’offre, on arrive à un résultat un peu différent. Le Québec dépasse de peu la moyenne de l’OCDE (18 % contre 17,4 %, pour la période 2017-2021).

Reste que la tendance ne va pas dans le bon sens, avec la compétition face à des pays qui protègent moins leurs travailleurs, leurs écosystèmes et leurs bêtes.

Vrai, le Plan d’agriculture durable s’est accompagné d’une aide de 122 millions depuis 2022. Cette approche de la carotte contraste avec le bâton imposé en France. Mais pour certains, ça ne suffit pas.

Depuis l’élection de la Coalition avenir Québec en 2018, les dépenses en agriculture ont augmenté plus vite que celles des autres missions de l’État. Il y a aussi eu un seul ministre – une stabilité bénéfique, après le jeu de chaise musicale sous les précédents gouvernements.

Mais la période de prospérité économique en début de mandat masquait des problèmes qui ne disparaîtront pas avec la baisse des taux d’intérêt.

Et au-delà des dollars, il faudra réfléchir à ce qu’on attend de l’agriculture. Veut-on encore qu’elle participe à l’occupation du territoire, à notre autonomie alimentaire et à notre patrimoine ?

Voilà des questions qui devraient concerner tous ceux qui votent et mangent, peu importe leur code postal.

1. Lisez « “Il y a une crise en agriculture actuellement”, admet François Legault »