Pour désigner une personne qui écope d’une décision même si elle n’était pas visée, on parle de « victime collatérale ».

Dans les derniers jours, le Bloc québécois est dans la situation contraire. Il est le « gagnant collatéral » de l’enfilade d’annonces prébudgétaires du gouvernement Trudeau.

Les libéraux multiplient les intrusions dans les champs de compétence des provinces : protection des locataires, repas gratuits à l’école, programme de garderies, assurance médicaments et assurance dentaire.

Les libéraux courtisent particulièrement les 18-34 ans, un électorat qui a contribué à leur victoire écrasante en 2015 et qui leur échappe désormais. D’ailleurs, l’automne dernier, Justin Trudeau a nommé comme nouveau directeur des communications Max Valiquette, fondateur de Youthography, agence publicitaire de Toronto spécialisée dans le marché des jeunes.

Les libéraux n’ont rien à gagner à se poser en soudains défenseurs des finances publiques – ils ne seraient pas crédibles. Ils misent plutôt sur leur marque de commerce en offrant de l’aide, quitte à se substituer aux provinces. Après tout, vu de Toronto, le respect des compétences apparaît comme un principe abstrait et encombrant qui ne fait pas gagner de votes.

Le Bloc s’en désole, bien sûr. Mais il risque aussi d’en profiter dans l’urne. M. Trudeau répond malgré lui à la sempiternelle question de l’utilité d’un parti qui prône l’indépendance du Québec à la Chambre des communes.

« À quoi ça sert, le Bloc québécois à Ottawa ? Ça sert à quoi ? », demandait François Legault à Paul St-Pierre Plamondon en février1.

Le premier ministre était piqué au vif par une question du chef péquiste sur son incapacité à convaincre Justin Trudeau de freiner l’immigration temporaire, qui atteint des niveaux records et aggrave la crise du logement.

Ce n’était pas une stratégie préméditée. La preuve : son attaque n’a pas été reprise par son équipe. Mais elle montre l’accusation contre laquelle le Bloc doit toujours se défendre.

Or, la réponse devient plus facile depuis quelques semaines.

Le Bloc est dans une curieuse situation. D’un côté, il mène dans les sondages au Québec. De l’autre, il reste un peu malgré lui en marge des débats.

Certes, les conservateurs ne manquent pas une chance de l’attaquer. Mais dans la joute parlementaire, son travail studieux passe souvent sous le radar.

On s’intéresse d’abord aux libéraux au pouvoir, et aux néo-démocrates qui appuient leur gouvernement minoritaire. Et on surveille les conservateurs, dont l’avance dans les sondages leur donne le statut de gouvernement en attente.

Cette éclipse n’est que partielle. Après tout, si les bloquistes passaient inaperçus, ils ne récolteraient pas 30 % des intentions de vote au Québec, devant les libéraux (27 %), les conservateurs (23 %) et les néo-démocrates (14 %)2. Mais la lutte pour l’attention reste rude.

Voilà le contexte dans lequel M. Trudeau se mêle des dossiers des provinces. Et les néo-démocrates ne s’en plaignent pas. Au contraire, ils en veulent plus.

Les conservateurs le critiquent, mais sans en faire une priorité. Ils sont plutôt obsédés par la taxe fédérale sur le carbone, tellement qu’ils accusent le Bloc de la cautionner, alors qu’elle ne s’applique pas au Québec.

Certes, le chef conservateur, Pierre Poilievre, semble plus respectueux des compétences des provinces que M. Trudeau. Il critique les programmes pour les soins dentaires et les médicaments. Mais c’est d’abord l’impact sur les finances publiques qui l’inquiète. Le respect des compétences est moins présent dans son discours. Et il brouille ce message en promettant de sévir contre les maires « incompétents ».

Contrairement à son prédécesseur Erin O’Toole, M. Poilievre n’a pas présenté une plateforme spécifique au Québec. Il ne cherche pas à se faire des alliés parmi les premiers ministres des provinces. Il souhaite au contraire se présenter comme celui qui se bat pour le citoyen ordinaire et le gros bon sens contre toutes les élites.

Une voie très large s’ouvre donc pour le Bloc et son chef, Yves-François Blanchet.

Pour le Bloc, le vote stratégique est une menace. Il est avantagé lorsque la course n’est pas serrée. Et lorsqu’aucun aspirant premier ministre ne suscite la confiance.

Cela lui permet de compter à la fois sur ceux qui votent avec leur cœur et sur ceux qui veulent protester contre le pouvoir ou enregistrer un vote nationaliste défensif.

Historiquement, le Bloc s’est positionné comme celui qui défend les « intérêts du Québec ». Or, la montée de son parti frère, le Parti québécois, rend le gouvernement caquiste méfiant à l’égard du Bloc. Il ne veut pas lui laisser ce rôle.

Les enjeux nationalistes ont aussi changé. Le dossier « identitaire » est source de divisions à l’intérieur du Québec et du mouvement indépendantiste. Quand le Bloc parle de laïcité et d’immigration à Ottawa, il ne représente pas une position aussi consensuelle que lorsqu’il défend la culture, la langue et le respect des compétences.

Mais avec les récentes annonces libérales, ça change. Le fédéral est allé si loin avec sa hausse de l’immigration temporaire que même M. Trudeau reconnaît que la capacité d’intégration a été dépassée. Le Bloc est le seul à le dire clairement à Ottawa. On ne peut plus se pincer le nez en commentant ses interventions. Elles redeviennent une défense assez consensuelle des intérêts du Québec. Et une recette électorale qui a fait ses preuves.

1. Lisez « François Legault remet en question l’utilité du Bloc québécois » 2. Consultez les résultats du sondage Léger publié le 20 mars dernier