La révision des programmes et des dépenses de l’État lancée par le gouvernement Legault a un air de déjà-vu. Toutes les administrations des 40 dernières années ont voulu faire un grand ménage, souvent dans l’espoir d’effacer des déficits budgétaires. Avec des résultats mitigés.

L’État-Provigo

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Robert Bourassa (au centre) et Paul Gobeil (à droite), alors respectivement premier ministre et président du Conseil du trésor, le 28 octobre 1985

Comme ailleurs en Occident, le Québec remet en question le rôle de l’État dans les années 1980, sous Robert Bourassa. Pour remplacer l’État-providence, on propose l’« État-Provigo » – du nom du président du Conseil du trésor, Paul Gobeil, ancien patron de la chaîne d’épiceries. En 1986, il propose d’éliminer environ la moitié des 200 organismes de l’État comme le BAPE, la Commission sur la protection du territoire agricole et la Régie du logement. Un autre rapport, signé par le ministre délégué à la Privatisation, Pierre Fortier, suggère de privatiser des sociétés d’État comme la SEPAQ, Radio-Québec (aujourd’hui Télé-Québec) et la Société générale de financement (qui sera finalement fusionné à Investissement Québec en 2010). On remet en question des monopoles publics comme celui d’Hydro-Québec. La vaste majorité des recommandations restent lettre morte.

« Vivre selon nos moyens »

En 1993, le président du Conseil du trésor, Daniel Johnson (fils), et le ministre des Finances, Gérard D. Lévesque, publient le rapport Vivre selon nos moyens. « Dans la foulée de la Révolution tranquille, le Québec s’est donné des services qui, depuis qu’ils ont atteint leur rythme de croisière, entraînent une croissance structurelle des dépenses difficile à contenir et plus élevée que celle des revenus », écrivent-ils. On veut donner un coup de frein aux dépenses et réduire la taille de l’État. Mais quelques mois plus tard, le gouvernement décide plutôt d’instaurer un impôt rétroactif sur le revenu des particuliers. Devenu premier ministre, et à la veille des élections, Daniel Johnson augmente les dépenses davantage que promis.

Le sommet du déficit zéro

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Lucien Bouchard, alors premier ministre, accompagné de son ministre de l’Éducation de l’époque, un certain François Legault, le 9 février 2001

En 1996, le premier ministre Lucien Bouchard organise un sommet socioéconomique pour dégager un consensus sur l’atteinte du déficit zéro. Il comprime les dépenses de 4 % en une année et limite leur croissance par la suite. Un programme de mises à la retraite entraîne un départ massif d’employés, beaucoup plus important que prévu, notamment dans les réseaux de la santé et de l’éducation. Québec adopte la Loi sur le retour à l’équilibre budgétaire, qui force depuis tout gouvernement à se doter d’un plan pour sortir du trou.

Cure minceur avortée

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Joseph Facal et Bernard Landry, alors respectivement président du Conseil du trésor et premier ministre, le 17 décembre 2002

Sous Bernard Landry, le président du Conseil du trésor, Joseph Facal, recommande une cure minceur à l’appareil bureaucratique : réduction de moitié du nombre de ministères et abolition ou fusion d’une soixantaine d’organismes. Le gouvernement rejette son rapport qui ne sera pas rendu public ; le document fait toutefois l’objet d’une fuite. Le contexte est important : les élections générales de 2003 approchent… M. Facal quitte la vie politique un mois avant le déclenchement de la campagne.

La « réingénierie » de l’État

Dès son arrivée au pouvoir en 2003, Jean Charest veut revoir le modèle québécois. Il entreprend la « réingénierie » de l’État. La présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, présente toutefois un plan de match moins ambitieux que prévu. La quasi-totalité des 275 organismes recensés sont finalement épargnés, quelques coquilles vides sont éliminées et le seul organisme important appelé à disparaître échappe finalement au couperet (la Commission municipale du Québec). La seule mesure significative mise en application est le remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite. Une loi spéciale impose un gel salarial de deux ans aux employés de l’État, puis quatre hausses annuelles de 2 %. Le gouvernement Charest prend une décision qui aura un impact important : la création du Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette.

« Révolution culturelle »

Une « révolution culturelle » est nécessaire pour retrouver l’équilibre budgétaire, déclare le ministre des Finances Raymond Bachand, en 2010. Il faut selon lui que chacun paie sa « juste part » des services publics. Cela mène notamment à l’annonce d’une hausse des droits de scolarité qui déclenche une crise, le fameux « printemps érable » de 2012. Le gouvernement Charest instaure une « taxe santé », hausse la TVQ et la taxe sur l’essence.

Compressions et hausse d’impôt

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Pauline Marois, alors première ministre du Québec, montre un graphique de la croissance des dépenses, lors de la période des questions du 26 novembre 2013.

Pendant son court règne, le gouvernement Marois est aux prises avec un déficit plus important que prévu. Il cherche à freiner la croissance des dépenses, ce qui mène à des compressions dans l’aide sociale, les CPE, les commissions scolaires et les universités notamment. Il augmente les impôts des contribuables gagnant plus de 100 000 $ par année. Il brise un tabou au Parti québécois en annonçant une hausse du tarif dans les CPE, gelé depuis dix ans – une mesure qui sera revue par le gouvernement suivant. Le Conseil du trésor prépare un plan pour réduire les dépenses de près de deux milliards par année, un plan surnommé la « liste des horreurs » et prévoyant entre autres une réduction du panier de services couverts par l’assurance maladie. Le gouvernement ne prend aucune décision au sujet de ce plan.

L’étiquette de l’austérité

L’étiquette collera à la peau des libéraux. Le régime minceur instauré par le gouvernement Couillard au début de son mandat est assimilé à de l’« austérité ». Les libéraux limitent la croissance des dépenses à 1,6 % puis à 0,3 % annuellement. Ils décrètent un gel des embauches et une réduction de 2 % des effectifs de la fonction publique, une opération qui sera temporaire. Un rapport commandé aux experts économiques Luc Godbout et Claude Montmarquette suggère notamment un gel de la masse salariale et une privatisation partielle d’Hydro-Québec, mais le gouvernement refuse d’emprunter cette voie. Les recommandations du rapport Godbout sur la fiscalité – hausser la TVQ en contrepartie d’une baisse d’impôt par exemple – et du rapport de l’ancienne ministre Lucienne Robillard sur la révision des programmes – comme la fin du monopole de la SAQ – sont en majeure partie écartées.