Notre chef de bureau à Ottawa raconte comment Brian Mulroney a influencé son choix de carrière.

(Ottawa) 30 juin 1987. Les députés sont réunis pour un vote historique prévu en soirée à la Chambre des communes. Le débat sur la motion visant à rétablir la peine de mort au Canada alimentait les passions depuis quelques mois déjà. La tension était palpable. L’issue de ce vote libre était incertaine.

De nombreux députés conservateurs du Québec avaient déjà signifié leur intention de voter en faveur d’un retour de la peine capitale, se disant persuadés qu’ils représentaient ainsi l’opinion majoritaire de leurs électeurs.

« Je suis convaincu que les criminels y penseraient à deux fois si la peine de mort revenait », avait notamment déclaré le député conservateur de La Prairie, Fernand Jourdenais, six mois auparavant.

Le soir du vote, je devais avoir congé. Conscient de l’importance du moment en cette fin de session parlementaire déjà surchargée, j’avais offert au responsable du programme des pages de rentrer quand même au travail.

Bien d’autres pages – des jeunes de 18 ou 19 ans recrutés aux quatre coins du pays afin d’épauler pendant un an les députés durant les travaux parlementaires tout en poursuivant des études universitaires – m’ont imité.

Il était hors de question de courir les terrasses, en cette chaude journée d’été, pour siroter une bière, même si mes cours de première année en journalisme à l’Université Carleton étaient terminés depuis au moins deux mois.

Dès l’annonce du résultat du vote, des cris de soulagement se sont fait entendre de part et d’autre. Des feuilles de papier ont été lancées dans les airs.

Le vote avait quand même été assez serré : 148 députés avaient voté contre cette motion, mais 127 autres l’avaient appuyée. Des députés avaient changé de position, après de longs débats déchirants. Les trois chefs de parti – le premier ministre Brian Mulroney, le chef du Parti libéral John Turner, et le chef du Nouveau Parti démocratique Ed Broadbent – s’y étaient opposés. La peine de mort, abolie au Canada 11 ans plus tôt par un vote plus serré encore de 130 à 124 à la Chambre des communes, ne serait pas rétablie.

Cet évènement marquant n’en est qu’un parmi tant d’autres dont j’ai été témoin durant l’année où j’ai travaillé comme page, d’août 1986 à juin 1987. Des évènements qui ont soulevé les passions aux quatre coins du pays, suscité des espoirs chez certains, alimenté la colère ou la déception chez d’autres.

Environ trois semaines auparavant, le 3 juin 1987, aux petites heures de la nuit, Brian Mulroney avait réussi l’impossible. Il avait convaincu l’ensemble des premiers ministres des provinces de conclure un nouvel accord constitutionnel, le fameux accord du lac Meech, qui devait permettre au Québec de réintégrer le giron constitutionnel « dans l’honneur et l’enthousiasme », comme il s’était engagé à le faire durant la campagne électorale de 1984. L’ancien premier ministre n’avait pas perdu de temps à annoncer la bonne nouvelle aux Communes.

Le 6 avril 1987, j’ai pu assister au discours devant le Parlement prononcé par le président des États-Unis, Ronald Reagan, en endossant mes habits de page.

L’ancien président avait alors profité de l’occasion pour vanter les mérites de l’idée mise de l’avant par Brian Mulroney de conclure un traité de libre-échange entre les deux pays – une idée qui allait se concrétiser 18 mois plus tard, après une élection fédérale qui prit vite l’allure d’un référendum sur le traité.

Signe de la stature internationale qu’avait déjà acquise Brian Mulroney deux ans à peine après son arrivée au pouvoir, la visite du président américain fut suivie six semaines plus tard, le 25 mai 1987, par celle du président français François Mitterand, qui prit aussi la parole devant les parlementaires. Encore une fois, j’endossai mes habits de page pour assister à un évènement historique.

À mon arrivée à Ottawa, en août 1986, le gouvernement Mulroney entreprenait la seconde moitié de son mandat. Les deux premières années avaient été marquées par l’annonce en rafale de privatisations et de grandes réformes, ainsi que par la démission d’une poignée de ministres éclaboussés par des scandales.

En mettant les pieds à la Chambre des communes pour la première fois en même temps que le premier ministre, un mois plus tard, j’avais des papillons dans l’estomac.

Quand je lui ai apporté un verre d’eau pour la toute première fois, alors qu’il s’apprêtait à répondre aux questions du chef de l’opposition officielle John Turner, la nervosité était à son comble. Mon seul objectif : ne pas échapper le verre d’eau !

Nos regards ne se sont pas croisés durant cette délicate mission, et très peu aussi par la suite quand un ministre me demandait de lui remettre un message sur un bout de papier. Mais chaque fois que je m’approchais de son siège, je sentais bien le poids qu’il portait sur les épaules après avoir remporté une majorité historique de 211 sièges. Le poids de tout un pays formé de régions aux intérêts divergents et aux aspirations parfois contradictoires. J’ai également senti le poids de toute une nation, celle du Québec, qui avait porté en lui l’espoir d’une reconnaissance formelle de son caractère distinct au-delà de la rivière des Outaouais.

« Donnez-nous 20 ans au pouvoir et je pense que vous allez avoir un pays transformé », avait lancé Brian Mulroney en novembre 1984, après la lecture du premier discours du Trône de son gouvernement fraîchement installé au pouvoir.

Finalement, il a été au pouvoir pendant neuf ans. Il a transformé le pays de façon durable sur tant de fronts.

Le « p’tit gars de Baie-Comeau » a aussi affecté mon cheminement professionnel. Si ma première ambition était de devenir journaliste sportif afin de couvrir un jour le Canadien de Montréal, Brian Mulroney m’a convaincu en 12 petits mois, au cours desquels j’ai été témoin de toute cette effervescence à Ottawa, qu’il existe un autre sport nettement plus intéressant : la politique nationale.