(Ottawa) Au cours des dernières semaines, le nom du ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a commencé à circuler d’une manière restreinte dans les rangs conservateurs comme possible grand argentier d’un gouvernement dirigé par Pierre Poilievre.

Économiste de formation, ancien premier vice-président et trésorier de la Banque Nationale, M. Girard a déjà porté les couleurs du Parti conservateur aux élections de 2015 dans la circonscription de Lac-Saint-Louis, dans la région de Montréal. Il a réussi à faire le saut en politique provinciale en se faisant élire en 2018. Il est le ministre des Finances du gouvernement Legault depuis.

Selon nos informations, M. Girard a fait savoir à certains apparatchiks du Parti conservateur qu’il est disposé « à faire une différence ailleurs ».

Mais dans l’entourage de Pierre Poilievre, l’idée d’accueillir Eric Girard comme éventuel ministre des Finances à Ottawa ne lève pas. Même si ce dernier pourrait être inscrit dans la liste de candidats vedettes aux prochaines élections fédérales.

« Pour Pierre Poilievre, être un candidat vedette, ça ne veut rien dire. Les questions qu’il me pose sont toujours les mêmes. Qui est un candidat vedette ? Est-ce que cette personne fait du porte-à-porte ? Est-ce qu’elle parle aux gens sur le terrain ? Est-ce qu’elle travaille fort dans la circonscription ? Autrement, la candidature de cette personne ne suscite pas d’intérêt pour lui », laisse tomber une source conservatrice dans l’entourage du chef qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’avait pas le mandat de parler de ce dossier publiquement.

« Des ministres du gouvernement caquiste, oublie ça ! »

« Eric Girard à Ottawa ? Bonne chance pour convaincre le chef », avance un stratège conservateur, qui a aussi requis l’anonymat. Ce dernier explique qu’il existe un fossé idéologique irréconciliable entre les deux hommes sur la taxe carbone, entre autres choses. Pierre Poilievre promet d’abolir cette taxe s’il prend le pouvoir. Eric Girard, lui, s’en accommode trop bien au goût des conservateurs à Ottawa.

« En plus, son jugement politique laisse à désirer. Sa récente décision de donner une subvention de 7 millions de dollars pour que les Kings de Los Angeles viennent jouer deux matchs hors concours à Québec, pendant que les gens en arrachent, c’est le genre de choses qui ne passent pas dans le Parti conservateur de Pierre Poilievre », ajoute ce stratège.

En somme, si Eric Girard croyait qu’on pourrait lui dérouler le tapis rouge à Ottawa parce qu’il a déjà porté les couleurs du Parti conservateur et parce qu’il compte déjà cinq ans d’expérience comme ministre des Finances à Québec, il se berce d’illusions, laisse-t-on entendre dans les rangs conservateurs dans la capitale fédérale.

Selon nos informations, on n’écarte pas l’idée que des députés caquistes ayant un siège dans les régions du Québec puissent faire le saut avec les conservateurs aux prochaines élections fédérales. Mais l’idée que des ministres actuels du gouvernement Legault – Eric Girard ou Geneviève Guilbault, par exemple – soient accueillis à bras ouverts par Pierre Poilievre et ses proches collaborateurs est tournée en ridicule. « Des ministres du gouvernement caquiste, oublie ça ! », lance une source conservatrice.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre

Pierre Poilievre, faut-il le rappeler, a un autre allié beaucoup plus proche à Québec : le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime. Ce dernier, toutefois, n’entend pas faire le saut sur la scène fédérale, comme il l’a déjà indiqué dans une entrevue avec La Presse à la veille du congrès du Parti conservateur du Canada, qui a eu lieu à Québec en septembre.

Qui prendrait les rênes, alors ?

Voilà près de six mois que le Parti conservateur caracole en tête dans les intentions de vote au pays. Même si des élections fédérales pourraient n’avoir lieu qu’en octobre 2025, l’une des conséquences inévitables de la montée fulgurante des troupes conservatrices de Pierre Poilievre dans les sondages est de savoir qui, parmi les députés en poste et des candidats vedettes éventuels, pourrait faire partie de son cabinet.

Celui ou celle qui pourrait être ministre des Finances d’un futur gouvernement Poilievre – un poste d’autant plus névralgique que le chef conservateur affirme qu’il va rétablir coûte que coûte l’équilibre budgétaire à Ottawa, si les électeurs lui remettent les clés du pouvoir à l’issue du prochain scrutin – donne lieu aux spéculations les plus fortes.

Entre autres mesures, Pierre Poilievre promet d’adopter une loi qui obligerait le gouvernement fédéral à trouver un dollar d’économie pour chaque dollar de nouvelle dépense. Une telle démarche permettrait, selon lui, de retrouver une discipline budgétaire qui avait été instaurée par les anciens gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin et qui avait aussi été suivie par l’ancien gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Depuis leur arrivée au pouvoir, en 2015, les libéraux de Justin Trudeau ont rédigé tous leurs budgets à l’encre rouge, doublant au cours des huit dernières années la dette accumulée. Ce boulet financier est passé de 635 milliards en 2015-2016 à 1213 milliards au terme de l’exercice financier 2023-2024.

Après son éclatante victoire dans la course au leadership, l’an dernier, Pierre Poilievre a causé une surprise en confiant le poste de critique en matière de finances au député de la région de Calgary Jasraj Singh Hallan. Ce dernier a démontré à plus d’une reprise depuis sa nomination qu’il n’a guère l’étoffe d’un futur grand argentier.

Encore la semaine dernière, il s’est affiché comme l’intimidateur en chef du Parti conservateur tandis que la ministre des Finances, Chrystia Freeland, comparaissait devant le comité des Finances. M. Hallan a constamment interrompu la ministre Freeland, l’empêchant de répondre aux questions souvent issues du champ gauche qu’il lui posait. Entre autres choses, M. Hallan a demandé Mme Freeland si elle avait vu le soi-disant documentaire de 15 minutes du chef conservateur Pierre Poilievre sur la crise du logement.

Si la tendance qui se dessine dans les sondages se maintient, Pierre Poilievre pourrait se retrouver avec un heureux dilemme quand viendrait le temps de choisir son ministre des Finances. « Il y a bien des gens qui manifestent leur intérêt pour être candidats aux prochaines élections. Tout d’un coup, Pierre Poilievre n’est plus toxique ! », lance en souriant un stratège conservateur.