(Québec) Ce n’est pas une session comme les autres qui s’ouvre ce mardi à l’Assemblée nationale.

C’est la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2018 que le gouvernement Legault amorce une période parlementaire en tirant de l’arrière dans les sondages.

La chute a été brutale l’automne dernier : ses intentions de vote sont passées de 37 % à 25 %. C’est pire encore en ce début d’année : la Coalition avenir Québec (CAQ) glisse à 21 %, selon un sondage de la firme Pallas Data. À 32 %, le Parti québécois entre en territoire majoritaire.

Les prochaines élections générales sont encore loin – le 5 octobre 2026 – mais la question reste importante : les caquistes vont-ils rebondir ou s’enfoncer ? La réponse déterminera la suite des choses, comme l’annonce d’un remaniement ministériel après la session.

Des rénovations commencent

Autre contexte spécial de cette session : les députés débattront au Salon bleu tel qu’on le connaît pour la dernière fois.

La salle de l’Assemblée nationale subira une cure de jouvence à compter de la fin de la session. Des travaux de restauration sont jugés « prioritaires afin de préserver l’état des lieux sur tous les plans » et de moderniser les équipements. Il s’agit des premières rénovations d’importance depuis la fin des années 1970 : le « Salon vert » était passé au bleu avec l’implantation de la télédiffusion des débats.

Quel est le coût de cette cure de jouvence ? On l’ignore pour le moment, même si le projet a reçu le feu vert !

« Les estimations budgétaires sont en préparation et seront présentées au Bureau de l’Assemblée nationale lors des demandes d’autorisation des travaux », se contente-t-on de répondre. Ce Bureau est le conseil d’administration du Parlement ; il est formé d’élus de tous les partis.

On a tout de même retrouvé deux contrats accordés jusqu’ici pour des services en architecture (700 156 $) et en ingénierie électrique (119 400 $) liés à la rénovation du Salon bleu. Ce n’est que la pointe de l’iceberg.

Des travaux s’amorcent dès maintenant au Salon rouge, voisin du Salon bleu et de dimension semblable. Les 125 députés y prendront place à compter de l’automne 2024 « pour une période minimale d’environ deux ans », le temps de retaper le Salon bleu, selon l’Assemblée nationale.

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Le Salon rouge accueillera à compter de l’automne 2024 les 125 députés.

Quelle est la facture estimée de ces travaux ? Un contrat de tout près de 3 millions de dollars a été conclu pour réaménager le Salon rouge, et d’autres, totalisant plus de 500 000 $, pour l’achat d’équipements. Pour le reste, « il n’est pas possible de dévoiler le budget octroyé […] afin de ne pas nuire aux processus d’appels d’offres publics et à l’exécution des contrats en cours ».

Le Salon rouge n’accueillera donc plus de commission parlementaire d’ici les prochaines élections générales. Le caucus de la CAQ, qui avait l’habitude de s’y réunir tous les jours de session, tiendra ses rencontres à huis clos ailleurs. Ce sera au restaurant Le Parlementaire le mercredi et le jeudi matin, alors que la rencontre du mardi se déroulera en visioconférence. Une occasion de moins pour les journalistes de questionner les députés et les ministres.

Et le contenu ?

On rénove le contenant, mais qu’en est-il du contenu ?

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François Legault, premier ministre du Québec, lors d’une période des questions au Salon bleu, en décembre dernier

On l’a oublié, mais au lendemain de sa réélection, le premier ministre François Legault a annoncé son « intention de travailler sur une réforme parlementaire pour améliorer le rôle de chacun des 125 députés ». C’était sa réplique à ceux qui lui reprochaient son refus de réformer le mode de scrutin pour y ajouter des éléments de proportionnalité – une promesse non tenue de 2018.

Les résultats des élections avaient relancé le débat… disparu de l’écran radar depuis. La CAQ a obtenu 72 % des sièges avec 41 % des votes et le Parti conservateur n’en a eu aucun malgré 13 % des suffrages, par exemple.

En entrevue avec La Presse en novembre 2022, le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, assurait que l’intention du premier ministre était sérieuse. « Il faut moderniser tout ça », plaidait-il. « Les citoyens ont aussi beaucoup à y gagner. C’est important, c’est leur démocratie. »

Au premier jour de son entrée en fonction, la présidente de l’Assemblée nationale, Nathalie Roy, soutenait que « le fruit est mûr » pour une telle réforme parlementaire, afin de « faire évoluer notre façon de travailler, de nous gouverner en tant qu’élus ». Elle promettait d’être une « facilitatrice » pour « aller de l’avant » avec un tel projet.

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Nathalie Roy, présidente de l’Assemblée nationale

« On souhaite aussi faire évoluer le fonctionnement de notre Assemblée nationale, lui avait répondu François Legault. On est en 2022, on serait dus pour une bonne réforme parlementaire. »

On est en 2024, et le dossier n’a pas beaucoup avancé jusqu’ici. Certes, les députés ont aboli l’obligation de prêter serment au roi pour siéger à l’Assemblée nationale. Et mardi, ils tiendront pour une rare fois des consultations en lien avec un projet de loi déposé par l’opposition officielle, au sujet du don d’organes. Au cabinet de Simon Jolin-Barrette, on fait valoir que le vote électronique au Salon bleu a été implanté, que l’horaire des travaux a été réaménagé pour faciliter la conciliation travail-famille, qu’une halte-garderie a vu le jour. Or, aucune révision en profondeur des façons de faire à l’Assemblée nationale n’a été lancée depuis le début du deuxième mandat. La dernière réforme parlementaire remonte à 2009.

« Une sous-commission de la réforme parlementaire » a été créée, mais elle n’a jamais siégé. Et aucune séance de travail n’est prévue à ce jour.

La présidente Nathalie Roy a signalé à La Presse qu’une telle réforme est « un exercice qui doit refléter un souhait collectif ». Le début des discussions sur le sujet dépend « de la volonté qui sera exprimée » par chacun des partis.

Le cabinet de Simon Jolin-Barrette soutient que « les discussions se poursuivent de manière continue avec les oppositions afin de veiller au bon fonctionnement des travaux ». Il n’y a « pas de nouvelles annonces à faire en lien avec la réforme parlementaire pour le moment ».

Promesse rompue

Avant les élections de 2018, la CAQ avait promis une réforme parlementaire pour, par exemple, mettre en place un mécanisme de votes libres, une façon d’assouplir la ligne de parti. Ou encore, rendre obligatoire l’étude d’un nombre prédéterminé de projets de loi déposés par les partis de l’opposition. Elle voulait même permettre de révoquer un député par l’entremise d’une pétition jugée conforme par le Directeur général des élections et qui recueillerait la majorité absolue des électeurs de la circonscription.

Cet engagement ne s’est jamais concrétisé. Au cours de son premier mandat, François Legault a tout au plus suggéré de rendre le Parlement « plus efficace, sans enlever de pouvoirs et de droits aux oppositions ».

Le premier ministre évoquait principalement l’idée de limiter la durée d’étude des projets de loi en commission parlementaire et de permettre aux ministres de ne plus y participer…

Une sous-commission parlementaire avait également été créée à l’époque. Mais elle n’avait jamais siégé. Le gouvernement avait présenté un cahier de propositions : il suggérait entre autres une nouvelle Chambre des affaires citoyennes et la création d’un poste de directeur parlementaire du budget comme à Ottawa – une revendication de longue date de la CAQ. Chaque parti de l’opposition avait fait ses suggestions. Tout le monde avait son avis pour revoir la célèbre période des questions, par exemple. Il y a là une base sur laquelle les députés pourraient commencer à travailler.

À l’automne 2026, lorsque les élus retrouveront le Salon bleu, selon l’échéancier, les pupitres seront disposés sous une forme différente, en fer à cheval. Quant à la réforme parlementaire, finira-t-elle en queue de poisson ?