(Québec) François Legault misait sur la discipline de son caucus, mais sa rentrée parlementaire a été monopolisée par les méthodes de financement de son parti. Ses adversaires l’ont accusé de monnayer l’accès de ses ministres, et un troisième et un quatrième députés caquistes se sont retrouvés dans l’embarras.

« Il est de plus en plus évident que la CAQ a mis en place un système de sollicitation basé sur l’accès à ses ministres », a attaqué le député de Québec solidaire Vincent Marissal durant la période de questions.

Il avait une carte dans sa manche : une capture d’écran qui rapporte un échange entre « un entrepreneur de la Côte-Nord » et le député caquiste de René-Lévesque, Yves Montigny. Dans un message privé, M. Montigny souligne au citoyen qu’il pourrait rencontrer le ministre de l’Agriculture André Lamontagne en participant à un cocktail de financement, au coût de 100 $.

Je sais que nous avons pas toujours fait ce que tu voulais, mais c’est une belle occasion pour parler à un ministre.

Yves Montigny, député caquiste de René-Lévesque, dans un message privé à un citoyen

La CAQ se défend de mal agir et estime que M. Montigny a simplement « invité une connaissance ». Elle accuse ses adversaires de salissage.

Mais le Parti québécois critique également ses façons de faire. « On ne veut pas revenir aux années Charest », a affirmé le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon.

« Je comprends que ce sont des dons de 100 $. Ce n’est pas exactement ce qu’on avait découvert à la commission Charbonneau, mais c’est le même problème de monnayer de l’influence, de lier le financement des partis politiques avec l’accès aux élus ou la possibilité de faire avancer ses dossiers. Et ça, c’est inacceptable », a-t-il ajouté.

Déjà deux enquêtes

Dans un message obtenu par La Presse Canadienne mardi après-midi, le député d’Orford, Gilles Bélanger a quant à lui invité les maires de la MRC de Memphrémagog à rencontrer la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, en échange d’une contribution de 100 $.

« Vous aurez l’occasion d’échanger sur les sujets d’actualité comme la connectivité, l’innovation et l’intelligence artificielle, dans une ambiance décontractée. »

L’élu municipal de la région qui a transmis le message à La Presse Canadienne a exprimé son « malaise » devant ce genre de sollicitation et a indiqué qu’il n’avait pas participé à l’activité.

Deux députés caquistes sont déjà visés par une enquête de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale pour leur méthode de financement. Le député de Rousseau Louis-Charles Thouin, et le député de Chauveau, Sylvain Lévesque.

La Presse Canadienne rapportait la semaine dernière que le député Thouin invitait les maires de sa circonscription à « joindre l’utile à l’agréable » dans un cocktail où, en échange d’une contribution à la caisse électorale de 100 $, ils pourraient rencontrer la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.

Il y a deux semaines, Radio-Canada révélait de son côté qu’un employé de circonscription du député Lévesque avait proposé à une citoyenne qui souhaitait que son député fasse progresser son dossier de faire un don de 100 $ à la caisse du parti, ce qui lui permettrait de rencontrer le ministre des Finances.

La Presse Canadienne rapportait également qu’au total, près de la moitié des maires et préfets du Québec, soit 503 sur 1138, ont contribué au financement de la CAQ depuis les dernières élections municipales en 2021.

« C’est garrocher de la bouette », dit Jolin-Barrette

Mais les caquistes se défendent becs et ongles. Le leader parlementaire Simon Jolin-Barrette associe la charge de Vincent Marissal à du « salissage ». « C’est garrocher de la bouette », a-t-il déploré.

Une chose qui est sûre, et qui doit être claire […], l’accès au ministre n’est pas monnayable. Il n’y a aucun passe-droit, aucun avantage. Tout le monde est traité sur le même pied d’égalité, ça fait partie de l’intégrité, des valeurs que nous avons au gouvernement, et du respect de l’équité entre les citoyens.

Simon Jolin-Barrette, leader parlementaire du gouvernement

Fait rare : la directrice du parti, Brigitte Legault, a pris la plume et a affirmé dans une lettre ouverte que « les ministres du gouvernement ont tenu plus de 1000 rencontres avec des élus municipaux », ce qui démontre selon elle que « qu’ils n’ont absolument pas besoin de contribuer au financement pour les rencontrer ».

« Depuis que notre parti existe, nous avons toujours récolté notre financement dans les règles, en respectant les plus hauts standards d’intégrité : c’est dans notre ADN », a-t-elle affirmé. « Aucun élu de la Coalition Avenir Québec n’a exigé, d’un maire ou d’un représentant de la société civile, une contribution financière pour que ses dossiers soient priorisés ou entendus », a-t-elle martelée.

Motion adoptée

Sur la défensive, la CAQ a voté en faveur d’une motion du Parti québécois qui demande au gouvernement de mettre en œuvre la recommandation 57 du rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (CEIC), qui vise à interdire « aux ministres et à leur personnel de leur cabinet de solliciter des contributions politiques aux fournisseurs et bénéficiaires d’aide financière de leur ministère ».

À la sortie du Salon bleu, le député péquiste Pascal Bérubé s’est félicité de l’adoption de la motion. « C’est quand même assez impliquant. Ce doit être fait ce changement-là dans les plus brefs délais », a-t-il dit. Il donne une interprétation particulièrement généreuse à la motion et la recommandation de la commission Charbonneau en concluant que « la CAQ vient de mettre fin, dès maintenant, à la présence de ministres dans ses cocktails de financement ».

Interdit au PQ

« L’Assemblée nationale vient d’adopter la motion à l’unanimité, donc maintenant les parlementaires vont travailler là-dessus », s’est limité à dire Simon Jolin-Barrette.

Au matin, le Parti québécois est allé encore plus loin. S’il était au pouvoir, il interdirait à ses ministres de participer à des activités de financement politique comme les cocktails, même dans leur circonscription.

« Je m’engage. Un gouvernement du Parti québécois va interdire aux ministres d’aller dans les cocktails de financement. Point final », a lancé son chef Paul St-Pierre Plamondon. Il estime que c’est la seule façon d’éviter ce qu’il reproche à la Coalition avenir Québec, c’est-à-dire de donner l’impression que des gens vont « faire avancer » leur dossier auprès d’un ministre en participant à un cocktail de financement.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse, et La Presse Canadienne