(Ottawa) Le nom de Mark Carney est sporadiquement évoqué dans les rangs libéraux comme possible successeur de Justin Trudeau à la barre du Parti libéral du Canada.

Le principal intéressé s’est montré bon joueur jusqu’ici, refusant de faire quoi que ce soit qui pourrait déstabiliser le leadership du premier ministre à l’approche du prochain scrutin. Il a souvent réaffirmé son appui au chef ainsi qu’aux politiques que prône le gouvernement libéral, notamment en ce qui a trait à la lutte contre les changements climatiques.

L’ancien gouverneur de la Banque du Canada reviendra à l’avant-scène de l’actualité politique ce lundi, au moment même où la ministre des Finances, Chrystia Freeland, s’apprête à déposer son prochain budget.

M. Carney, qui a indiqué l’automne dernier au quotidien The Globe and Mail qu’il n’écartait pas l’idée de briguer la direction du parti de Wilfrid Laurier un jour lorsque le poste sera vacant, va prononcer deux discours à saveur économique au cours des deux prochaines semaines.

Sa première allocution, portant le titre « Il est temps de construire » (A Time to Build en anglais), aura lieu ce lundi soir à Ottawa, à l’auguste Château Laurier, soit environ une semaine avant le dépôt du budget fédéral. Il prononcera son deuxième discours, également sur le thème de l’économie, à Toronto, le berceau de Canada inc., le 22 avril, soit une semaine après le budget de la ministre Freeland.

Il va sans dire que ces deux discours vont alimenter les discussions de coulisses dans les rangs libéraux. Son contenu sera analysé sous toutes ses coutures, d’autant que les deux évènements sont organisés par Canada 2020, un groupe de réflexion proche du Parti libéral du Canada.

« Ce n’est pas une décision que je dois prendre maintenant », a déclaré Mark Carney au Globe and Mail en novembre dernier, après avoir été interpellé au sujet de son intérêt pour la direction du Parti libéral. Relancé par la journaliste pour savoir s’il écartait catégoriquement cette option, M. Carney, qui a aussi été gouverneur de la Banque d’Angleterre avant de rentrer au pays en 2020, a répondu : « non ».

Voilà plus d’une décennie que des stratèges libéraux voient Mark Carney dans leur soupe. En 2011, un groupe avait tenté pour la première fois de le convaincre de se lancer dans la course à la direction du parti dans le but de faire échec à Justin Trudeau et d’assurer au Parti libéral une voix crédible sur les questions économiques et fiscales.

M. Carney était aux commandes de la Banque du Canada durant la crise financière de 2008-2009 et formait un duo de confiance avec l’ancien ministre des Finances du gouvernement conservateur de Stephen Harper, Jim Flaherty, pour guider l’économie canadienne durant une période de fortes turbulences à l’échelle de la planète.

L’économiste de formation et banquier a finalement décliné l’invitation avant de prendre la route vers la Grande-Bretagne en 2012. Justin Trudeau a par la suite été élu facilement à la barre du Parti libéral, prenant la relève de l’ancien chef Michael Ignatieff, qui avait conduit les troupes libérales à leur pire résultat dans l’histoire du parti avec une récolte de 34 sièges.

Dans les rangs libéraux, certains font des comparaisons peu flatteuses entre MM. Carney et Ignatieff. Ce dernier est certes un intellectuel reconnu au-delà des frontières canadiennes, mais il s’est avéré un leader incapable de trouver son élan en politique et d’établir des liens de proximité avec les électeurs ordinaires.

Dans une éventuelle course au leadership, d’autres candidats seront sur la ligne de départ. La ministre Chrystia Freeland et ses collègues du cabinet François-Philippe Champagne (Industrie), Mélanie Joly (Affaires étrangères) et Anita Anand (Conseil du Trésor) font partie de la liste des aspirants souvent évoqués.

M. Carney, qui agit aujourd’hui comme l’envoyé spécial des Nations unies pour le financement de l’action climatique et est président de Brookfield Asset Management, un géant canadien des investissements alternatifs, a participé au plus récent congrès libéral, qui a eu lieu à Ottawa en mai dernier. Il est membre en règle du parti.

Au dernier scrutin, en septembre 2021, les stratèges libéraux l’ont incité à se présenter comme candidat libéral dans la circonscription d’Ottawa-Centre à la suite de la décision de l’ancienne ministre de l’Environnement et du Changement climatique Catherine McKenna de quitter la politique. Il a encore une fois décliné l’invitation.

Des observateurs aguerris de la scène politique fédérale estiment que Justin Trudeau aurait pu lui forcer la main, l’été dernier, quand il a procédé à un important remaniement ministériel qui devait donner un nouvel élan à son gouvernement. Les sondages commençaient alors à démontrer un appétit croissant des électeurs pour un changement à Ottawa.

Le premier ministre aurait pu nommer Mark Carney à son cabinet et assurer son entrée à la Chambre des communes en déclenchant une élection partielle dans un château fort libéral. Mais on ignore si une telle option a même effleuré l’esprit des stratèges libéraux.

D’ici quelques semaines, Justin Trudeau devra déclencher une élection partielle dans la circonscription de Toronto-St. Paul’s, devenue vacante en décembre à la suite de la démission de l’ex-ministre Carolyn Bennett, nommée depuis ambassadrice du Canada au Danemark.

Cette élection partielle pourrait être l’occasion rêvée pour M. Carney de finalement faire le saut en politique. L’ancienne cheffe de cabinet de la ministre des Finances Chrystia Freeland, Leslie Church, convoite déjà l’investiture libérale dans cette circonscription.

Selon Scott Reid, un ancien proche collaborateur de Paul Martin, se faire élire comme député est un passage obligé pour quiconque souhaite diriger un parti national.

Il soutient que Mark Carney « ne pourra pas connaître du succès comme candidat » dans une course à la direction du parti « tant qu’il ne connaîtra pas du succès comme candidat dans une simple élection ».

Après ses discours sur l’économie, Mark Carney aura-t-il le goût de faire le saut en politique ? L’heure des décisions est arrivée pour l’ex-gouverneur de la Banque du Canada.