(Québec) Pas une. Pas deux. Pas trois. Mais bien quatre fois, la traditionnelle rencontre alternée entre les premiers ministres français et québécois a été reportée.

Prévue en 2020, elle a été annulée en raison de la pandémie de COVID-19, puis des élections françaises de 2022 et enfin de la crise provoquée par la réforme des retraites en France l’an dernier.

La visite du premier ministre français, Gabriel Attal, cette semaine prendra donc la forme de retrouvailles entre « cousins », « frères » ou « amis ». Ce sera selon la formule que retiendra le principal intéressé et qui fera l’objet d’analyses comme toujours. Le plus jeune premier ministre de la VRépublique (35 ans) prononcera un discours devant l’Assemblée nationale jeudi après-midi.

Le président Emmanuel Macron l’a nommé en janvier. C’était à la faveur d’un remaniement, une tentative de relancer son second quinquennat. Une source d’inspiration pour François Legault, dont la cote de popularité est aussi en baisse en ce deuxième mandat ? En tout cas, le remaniement ministériel, qui se préparait en juin, serait repoussé en août, dit-on à l’interne. C’est aussi ce que décodent des cabinets ministériels, attentifs aux moindres signes précurseurs.

Comme ses prédécesseurs, Gabriel Attal subira un test pour vérifier le statut de la politique diplomatique de « non-ingérence, non-indifférence » de la France à l’égard du Québec.

Surtout dans le contexte où le Parti québécois caracole en tête dans les intentions de vote et promet un référendum sur la souveraineté s’il est porté au pouvoir en 2026.

Certes, Gabriel Attal n’est pas président, mais il est considéré comme un successeur potentiel d’Emmanuel Macron, en 2027.

Le ni-ni

Le président Nicolas Sarkozy avait causé l’émoi en plaidant pour l’unité canadienne dans un discours au Salon bleu en 2008, puis en réservant un enterrement de première classe au « ni-ni » en 2009 à Paris. Qui se souvient que Jean Charest avait reçu la Légion d’honneur ce jour-là à l’Élysée ?

La France a renoué avec la « non-ingérence, non-indifférence » en 2012 sous François Hollande, au moment où Pauline Marois était au pouvoir à Québec. Il s’agit du dernier dignitaire étranger à avoir prononcé un discours devant l’Assemblée nationale du Québec. C’était en 2014, sous les libéraux.

Quatre ans plus tard, Philippe Couillard avait annoncé qu’Emmanuel Macron prononcerait un discours au Salon bleu la veille du Sommet du G7 à La Malbaie, mais le président avait annulé l’évènement à la dernière minute. Horaire trop chargé, disait-on. Son geste a été interprété par certains comme de l’indifférence de sa part, un manque d’intérêt pour la diplomatie franco-québécoise.

La relation entre la France et le Québec est « stratégique et en même temps affective », avait soutenu Emmanuel Macron.

On ne s’attend pas à un revirement avec le discours de Gabriel Attal. Mais nul doute qu’il prendra soin de réchauffer la relation. Il voudra faire bonne impression pour sa première visite officielle hors de l’Union européenne depuis sa nomination. Les sherpas de Legault et d’Attal travaillent d’arrache-pied pour que l’opération soit couronnée de succès.

Le « ni-ni » a été adopté par le président Valéry Giscard d’Estaing alors que René Lévesque était au pouvoir au Québec en 1977. Et c’est d’ailleurs cette année-là qu’ont été instaurées les rencontres alternées des premiers ministres français et québécois.

La dernière rencontre remonte à 2018, alors que Philippe Couillard s’était rendu à Paris. Ce sera donc la toute première rencontre alternée à laquelle participe François Legault depuis son arrivée au pouvoir.

Mais ce n’est pas sa première activité diplomatique avec la France.

Doubler, voire tripler les échanges

Lors d’une visite à Paris en 2019, François Legault avait affiché ses couleurs : « Je souhaite que notre relation spéciale avec la France prenne une teneur beaucoup plus économique », avait-il déclaré dans une allocution après une rencontre avec Emmanuel Macron. Il disait vouloir doubler, voire tripler les échanges commerciaux avec la France.

Les exportations québécoises vers la France ont atteint 2 milliards en 2023, contre 1,7 milliard en 2018 ; les importations venant de la France sont passées de 3,2 milliards à 3,8 milliards au cours de la même période.

MM. Macron et Legault annonçaient dans une déclaration commune leur intention de donner une « nouvelle impulsion » aux « relations économiques bilatérales ».

« Dans un contexte international de tensions commerciales et de protectionnisme accru, l’entrée en vigueur de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG) permettra de soutenir l’accélération des échanges commerciaux », écrivaient-ils.

Sort incertain

Or, ce traité de libre-échange, dont l’application est provisoire pour le moment, a un avenir incertain. Le Sénat français vient de rejeter sa ratification. La crise agricole en France a pesé dans la balance – même si le lait, le fromage et le vin ont bénéficié de l’ouverture du marché canadien, tandis que l’exportation de bœuf canadien est inférieure au quota fixé.

Résultat : l’Assemblée nationale française devra à nouveau se prononcer sur cette entente. Elle l’avait ratifiée de justesse en 2019, au moment où Emmanuel Macron détenait une majorité absolue. Il est minoritaire depuis 2022.

Neuf autres pays sur les vingt-sept de l’Union européenne n’ont pas encore franchi toutes les étapes qui doivent mener à l’adoption finale du traité.

Ni François Legault ni Justin Trudeau n’ont traité directement de l’accord dans les communiqués distincts qu’ils ont diffusés pour annoncer la visite de Gabriel Attal. Mais il en sera sûrement question lors des rencontres. M. Legault a rappelé que la France est le premier partenaire économique du Québec en Europe, alors que Justin Trudeau a fait de « l’accroissement du commerce » une priorité. Le premier ministre français sera à Ottawa mercredi soir et jeudi matin ; il se rendra ensuite à Québec.

Cet accord de libre-échange Canada-UE a occupé une place importante dans les activités diplomatiques du Québec. Jean Charest était parvenu à relancer les discussions à la suite d’une offensive lancée en 2006-2007.

Dossier de la langue

On peut s’attendre à ce que la langue soit au menu de la rencontre Attal-Legault. Un comité d’experts a recommandé au gouvernement en début d’année de s’allier à la France pour faire augmenter la présence et la découvrabilité du contenu francophone sur les plateformes numériques.

Vendredi, Gabriel Attal, ex-ministre de l’Éducation, visitera une nouvelle école primaire de Québec puis le Salon international du livre, avant de se rendre à Montréal pour une rencontre économique.

Ce n’est pas sa première mission au Québec. En 2019, M. Attal, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, avait notamment visité une succursale de la Société québécoise du cannabis et s’était informé sur la légalisation récente du pot au pays, comme l’avait rapporté L’Obs. De retour en France, il s’était dit en réflexion et ouvert à un débat sur le sujet. Le cannabis récréatif est illégal en France ; il est maintenant légal en Allemagne depuis le 1er avril.

Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais il y a peut-être là un filon pour nos cousins-frères-amis journalistes français…