(Ottawa) Depuis son arrivée au pouvoir, en 2015, le gouvernement Trudeau s’est largement inspiré du Québec pour élargir le filet social à l’échelle du pays.

À titre d’illustration, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a souvent cité le programme de garderies du Québec comme un modèle à suivre quand elle a annoncé dans son budget de 2021 la création d’un programme national de services à la petite enfance, qui à terme doit coûter 10 $ en moyenne par jour. Depuis sa mise en œuvre, cette mesure a d’ailleurs permis à quelque 300 000 femmes de faire leur entrée sur le marché du travail.

Le Québec sert aussi d’exemple dans le dossier de l’assurance médicaments, une mesure qui pourrait être élargie dans le reste du pays et qui fait partie de l’entente que le Nouveau Parti démocratique (NPD) a conclue avec Justin Trudeau et qui assure la survie politique du gouvernement libéral minoritaire aux Communes jusqu’en juin 2025. Le NPD a récemment exigé qu’un projet de loi pour jeter les bases d’un tel programme soit déposé avant la pause du congé des Fêtes.

Le Québec a aussi été l’inspiration du ministre du Travail, Seamus O’Regan, quand il a déposé un projet de loi anti-briseurs de grève la semaine dernière – un projet de loi qu’il a rédigé en consultant le député néo-démocrate du Québec Alexandre Boulerice.

Crise du logement

Reconnu pour défendre bec et ongles ses pouvoirs devant les velléités d’Ottawa d’envahir ses champs de compétence, voilà que le Québec inspire maintenant les autres provinces qui digèrent mal de voir le gouvernement Trudeau transiger directement avec les municipalités sur leur territoire pour s’attaquer à la crise du logement.

L’an dernier, le gouvernement fédéral a mis sur pied le Fonds pour accélérer la construction de logements, doté d’un budget de quatre milliards de dollars. En août, le ministre fédéral du Logement, Sean Fraser, a commencé à conclure des ententes avec les villes afin de leur verser une aide financière visant à construire plus rapidement des logements abordables. Des ententes ont notamment été conclues avec des villes comme London, Hamilton, Vaughan, Halifax et Calgary, entre autres, en utilisant le bon vieux pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.

Mais dans le cas du Québec, Ottawa a dû conclure une entente avec le gouvernement Legault qui a permis à la province d’obtenir une somme de 900 millions de dollars pour s’attaquer à la crise du logement. Dans le cadre de cette entente, Québec a décidé d’égaler la mise en mettant aussi 900 millions de dollars.

Durant la rencontre du Conseil de la fédération, la semaine dernière à Halifax, les premiers ministres ont littéralement mis leur poing sur la table. Ils ont demandé au gouvernement Trudeau de cesser d’agir comme si les provinces n’existaient pas.

Ils ont sommé Ottawa de mettre fin à la pratique de conclure des ententes de financement avec les municipalités. Le premier ministre du Québec, François Legault, n’a pu participer à la rencontre en raison d’un conflit d’horaire. Le ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-François Roberge, représentait le Québec à la rencontre.

Dans leur communiqué final, les premiers ministres ont exprimé leur intention d’emboîter le pas au Québec, qui a adopté il y a belle lurette une loi qui empêche les municipalités sur son territoire de conclure des ententes directement avec Ottawa.

« Les provinces et les territoires doivent être traités en partenaires en matière de programmes d’infrastructure et de logement. Les premiers ministres ont convenu de se pencher sur des cadres législatifs similaires à celui en vigueur au Québec, lequel exige une autorisation du gouvernement avant qu’une municipalité ou un organisme public puisse conclure quelque entente que ce soit avec le gouvernement fédéral », peut-on lire dans le communiqué final.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, et son homologue de l’Alberta, Danielle Smith, ne se sont pas gênés par la suite pour critiquer vertement devant les caméras cette nouvelle tendance à la centralisation des pouvoirs à Ottawa.

PHOTO CHRISTOPHER KATSAROV, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford

On ne peut pas laisser le gouvernement fédéral venir dans une certaine ville ou dans une certaine municipalité et remettre un chèque sans même en discuter avec la province. C’est inacceptable. Nous appelons cela un détournement de compétence.

Doug Ford, premier ministre de l’Ontario

M. Ford s’est avéré jusqu’ici un allié objectif des libéraux de Justin Trudeau dans plusieurs dossiers.

« Nous avons besoin d’équité, et ce n’est pas le cas avec le modèle actuel », a affirmé de son côté Danielle Smith.

« Le fonds fonctionne »

Le ministre Sean Fraser s’est montré peu impressionné par cette salve des provinces. « Je n’ai aucune envie de ralentir lorsqu’il s’agit de construire des logements pendant une crise du logement », a rétorqué le ministre. Il a par la suite souligné que le fonds d’accélération avait déjà convaincu des villes de réformer leurs lois de zonage et « d’augmenter leurs ambitions » en matière de construction de logements.

« Le fonds fonctionne, et il fonctionne plus efficacement que je pense que la plupart des gens l’espéraient. Lorsque nous disposons d’un outil qui s’avère être un moyen efficace de construire davantage de logements, il n’y a aucun bon argument, à mon avis, pour ne pas utiliser cet outil. »

Dans le passé, le gouvernement fédéral a pu utiliser son pouvoir de dépenser pour s’immiscer dans les champs de compétence des provinces en concluant des accords avec celles-ci, sauf le Québec, qui a exigé un droit de retrait avec pleine compensation.

En poussant la note plus loin en négociant des ententes directement avec les municipalités, Ottawa a éveillé un sentiment autonomiste chez plusieurs provinces. À cet égard, le Québec est sans contredit le modèle qui inspire les leaders provinciaux.