C’est du rarement-vu, sinon du jamais-vu, depuis son arrivée au pouvoir en 2018.

François Legault aura été absent de la scène publique pendant un mois. Sa dernière apparition remonte au 20 décembre, pour annoncer un accord de négociation avec les Inuits du Nunavik.

C’est silence radio depuis, à quelques exceptions près : des messages sur X et sur Facebook pour commenter ses dernières lectures ou pour féliciter « Casseau » pour son poste d’entraîneur-chef des Islanders. Et une lettre envoyée à Justin Trudeau pour lui demander de freiner l’arrivée de demandeurs d’asile.

Certes, il y a eu la période des Fêtes, puis un voyage au Mexique début janvier. Mais François Legault n’avait pas pris de pause aussi longue dans le passé.

Le premier ministre mettra fin à son éclipse ce mercredi à l’occasion de la réunion du caucus caquiste à Sherbrooke pour préparer la reprise des travaux de l’Assemblée nationale, le 30 janvier. Il lancera un message à ses troupes devant les caméras en ouverture de rencontre, mais à moins d’un revirement de dernière minute, il ne s’adressera pas aux médias. Il fera un point de presse jeudi seulement.

Il faudra s’y habituer, semble-t-il. Le premier ministre sera désormais moins présent médiatiquement, prévient-on dans son entourage. On juge qu’il a été surexposé dans la dernière année. Ce sera aux ministres d’être davantage au front… mais avec circonspection, signale-t-on.

C’est le mot d’ordre envoyé aux troupes caquistes : « discipline ».

Discipline aussi bien dans les réactions publiques que dans les décisions, répète-t-on depuis le début de l’année au cabinet Legault. On veut éviter de provoquer des controverses comme l’an dernier.

On l’a déjà signalé : François Legault ne fera pas de remaniement ministériel. Du moins, pas tout de suite, insiste-t-on dans son entourage. Il est possible qu’il y en ait un plus tard, après la session parlementaire, donc à mi-mandat. Le signal est clair pour les ministres : vous êtes sous surveillance.

Le mot d’ordre de discipline vaut aussi pour les députés, dit-on. Les tergiversations au sujet du troisième lien Québec-Lévis et la subvention aux Kings ont poussé des élus caquistes à exprimer publiquement leur désaccord. C’est rare à la Coalition avenir Québec (CAQ), et il ne faudrait pas en faire une habitude, laisse-t-on entendre.

Recentrage

Le gouvernement sent le besoin d’un « recentrage » du message après l’annus horribilis de 2023. Il faut éviter de s’éparpiller et plutôt se concentrer sur la priorité d’améliorer les services en santé et en éducation, résume-t-on.

Ce n’est pas le premier gouvernement à vouloir éviter l’éparpillement. C’est d’ailleurs exactement le même objectif que se donnent les libéraux de Justin Trudeau, réunis en caucus cette semaine aussi. Les deux gouvernements ont en commun des sondages difficiles.

La principale source d’insatisfaction des électeurs envers le gouvernement Legault est le manque d’amélioration des services en éducation et en santé, constatait Léger récemment. Le gouvernement doit arriver à faire bouger l’aiguille une fois pour toutes. Les réformes Dubé et Drainville sont maintenant adoptées et seront mises en application, une opération qui sera périlleuse. Les négociations avec les syndicats auraient permis, semble-t-il, d’obtenir une certaine « souplesse » dans les conventions collectives – le gouvernement ne s’en est pas vanté pour éviter de braquer les syndiqués appelés à voter.

Après avoir tant insisté sur la nécessité d’obtenir tous ces moyens et ces pouvoirs, François Legault a une obligation de résultat.

Il faudra aussi beaucoup de discipline pour faire adopter deux projets de loi importants attendus cette session.

La réforme dans l’industrie de la construction du ministre du Travail, Jean Boulet, soulève déjà la grogne des syndicats. Quant au ministre de l’Économie, de l'Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, il doit déjà se défendre de dénationaliser Hydro-Québec avec son projet de loi à venir pour revoir l’encadrement du développement énergétique. Son message est plutôt confus jusqu’ici, et là encore, il y a levée de boucliers de syndicats.

D’autres textes législatifs sont à l’ordre du jour du gouvernement : pour créer une agence des transports, pour améliorer la sécurité dans le sport en donnant plus de mordant à l’Officier des plaintes, pour améliorer la coordination de la sécurité civile lors des catastrophes, pour forcer les Netflix, Spotify et autres Amazon Prime à donner plus de place au contenu québécois.

Discipline… budgétaire

Il y a une autre forme de discipline qui se prépare au gouvernement : la discipline… budgétaire.

C’est presque passé inaperçu, mais le ministre des Finances, Eric Girard, a revu ses prévisions à la baisse à la mi-décembre. Encore. À peine un mois et demi après sa mise à jour économique, le cadre financier du gouvernement s’est en effet détérioré de 635 millions de dollars en raison d’une baisse importante des revenus anticipés. Eric Girard a compensé une bonne partie de cette révision en utilisant en totalité sa provision pour éventualités de 500 millions.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre des Finances, Eric Girard

Résultat : Québec n’a plus de coussin pour les imprévus, et le déficit attendu augmente, pour passer à 4,1 milliards – après le versement au Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette.

Puis, fin décembre, c’est devenu officiel : le Québec est en récession technique – deux trimestres consécutifs de recul du produit intérieur brut. Eric Girard préfère parler de stagnation, dans la mesure où le recul est limité à 0,8 % lors du dernier trimestre.

Peu importe comment on le qualifie, le portrait économique est encore plus sombre qu’au moment où le gouvernement a concrétisé sa promesse de baisse d’impôt, en mars dernier…

Un autre changement au cadre financier vient de se produire : les hausses salariales plus élevées que prévu, de 17,4 % en cinq ans, que le gouvernement a consenties aux employés de l’État. Les salaires de 600 000 travailleurs bondiront de 8,8 % cette année – en tenant compte de la hausse de 6 % accordée pour 2023 et celle de 2,8 % applicable au 1er avril.

Les cadres sont en voie d’obtenir les mêmes augmentations… tout comme les députés, en vertu de la loi adoptée par le gouvernement Legault l’an dernier et ayant fait grimper de 30 % le salaire des élus. Les caquistes avaient signalé en novembre qu’ils voulaient renoncer à l’indexation pour 2023, mais un changement à la loi serait nécessaire.

Les hausses salariales accentueront la pression dans la colonne des dépenses. Chaque point de pourcentage d’augmentation coûte 600 millions par année.

Avant la baisse de ses revenus anticipés et la conclusion des ententes de principe avec les syndicats, Québec prévoyait limiter la croissance de l’ensemble des dépenses des ministères à 1,6 % l’an prochain, comparativement à 2,3 % cette année. Cela semble évident : l’heure des choix difficiles approche. On parlera bientôt de rigueur budgétaire à Québec… en refusant l’étiquette d’austérité.

Dans sa consultation en ligne pour préparer son prochain budget, Eric Girard pose la question : faut-il repousser ou non le retour à l’équilibre budgétaire prévu pour le moment en 2027-2028 ? À suivre.