(Sherbrooke) L’opposition réclame une enquête sur les pratiques de financement du député caquiste de Rousseau, Louis-Charles Thouin.

La Presse Canadienne a appris mardi que M. Thouin demande aux maires de sa circonscription de contribuer à la caisse de la CAQ, en échange d’une rencontre prévue le 8 février avec la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, à Saint-Jacques.

Or Élections Québec stipule qu’une contribution à un parti doit être faite « sans compensation ni contrepartie ».

Dans une lettre transmise mercredi à la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale, le député Vincent Marissal, de Québec solidaire, soutient que M. Thouin a contrevenu au code d’éthique des parlementaires.

L’opposition libérale a également demandé à la commissaire à l’éthique de se pencher sur son cas.

Même la présidente du Conseil du trésor, la ministre caquiste Sonia LeBel, a refusé de dire mercredi si les gestes de son collègue étaient légaux ou non.

Dans sa lettre, M. Marissal demande à la commissaire Ariane Mignolet d’enquêter sur « les stratagèmes de financement de la CAQ ».

Le message de sollicitation transmis par M. Thouin et obtenu par La Presse Canadienne contrevient à plusieurs articles du code d’éthique des élus, estime le député de QS.

Précisons que le député caquiste s’est adressé aux 10 élus de la MRC de Montcalm en leur indiquant qu’il devait récolter « des fonds en vue des prochaines élections » et qu’il proposait ainsi un cocktail privé avec Geneviève Guilbault au coût de 100 $ par admission, le 8 février.

« Les maires de sa circonscription qui accepteraient de l’aider dans cette entreprise suite à ses propres sollicitations se trouveraient à lui rendre un service qui mettrait ensuite M. Thouin dans une posture de redevabilité évidente le plaçant dans une situation où son intérêt personnel pourrait influencer son indépendance de jugement dans l’exercice de sa charge », ce qui contreviendrait à un des articles du code, écrit M. Marissal dans sa demande.

Le député de QS se pose ensuite des questions sur l’accès privilégié offert par le député et les intérêts en cause.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Le député solidaire de Rosemont, Vincent Marissal

En offrant de donner – contre contribution financière qui plus est – aux maires de sa circonscription un accès privilégié à une ministre avec lesquels ils sont susceptibles d’avoir plusieurs intérêts à faire valoir, M. Thouin n’a-t-il pas agi de façon à favoriser les intérêts de ces maires d’une manière abusive ?

Vincent Marissal

Il rappelle qu’en vertu de l’article 29 du Code d’éthique, « un député ne peut solliciter, susciter, accepter ou recevoir, pour lui-même ou pour une autre personne, quelque avantage que ce soit en échange d’une intervention ou d’une prise de position sur toute question sur laquelle il peut être appelé à se prononcer, notamment une question dont l’Assemblée nationale ou une commission peut être saisie ».

La commissaire à l’éthique a confirmé avoir reçu la demande et qu’elle est actuellement en cours d’analyse.

PLQ

En mêlée de presse au caucus libéral réuni dans un hôtel de Thetford Mines, le député libéral Monsef Derraji a souligné que les maires ne doivent pas avoir à payer 100 $ pour rencontrer une ministre dont c’est le travail de rencontrer les élus.

« C’est inacceptable. Clairement, il y a matière à ce que la commissaire à l’éthique examine sa situation, s’il avait le droit de faire ce genre de pratique de financement. »

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji

L’opposition libérale « analyse le contenu des courriels, la portée du contenu des courriels, comment il a approché les gens pour assister » à la rencontre avec la ministre, a-t-il ajouté.

Sonia LeBel

Sonia LeBel a dit qu’elle laissait les organismes responsables de faire les enquêtes examiner la situation.

« On les laissera s’exprimer le cas échéant », a-t-elle évoqué dans une mêlée de presse au caucus des élus caquistes réunis à Sherbrooke pour deux jours.

Elle a été procureure en chef de la commission Charbonneau qui était chargée d’enquêter sur les allégations de corruption et de collusion, mais elle a refusé de se prononcer sur la légalité des agissements du député Thouin.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, LA PRESSE CANADIENNE

Sonai LeBel

S’il y a des ajustements à faire, que les règles ont été respectées dans ce cas précis, je ne suis pas capable de le dire. Je ne me prononcerai pas sur une situation dont je n’ai pas eu connaissance personnellement.

Sonia LeBel

Le ministère des Transports et sa ministre sont constamment en interaction avec les municipalités sur des questions névralgiques de financement des infrastructures routières, de transport en commun, d’entretien des routes, de nouveaux tronçons, de sécurité, etc.

Rencontrer la ministre peut ainsi permettre à un élu municipal de faire avancer un dossier, mais un élu qui sollicite un rendez-vous avec un ministre ne doit pas avoir à payer pour obtenir sa rencontre.

M. Thouin écrivait dans son message qu’il veut ainsi « joindre l’utile à l’agréable » en invitant les élus à un cocktail privé : « Geneviève et moi serons ravis de vous accueillir et de pouvoir échanger avec vous sur divers sujets qui vous préoccupent, dont les enjeux de transports routiers et collectifs », peut-on lire.

M. Thouin est entré au caucus de la CAQ mercredi matin sans s’adresser aux médias.

La Presse Canadienne avait demandé une entrevue à M. Thouin par l’entremise de son bureau de circonscription, sans succès. L’aile parlementaire a également refusé notre demande d’entrevue.

Des questions ont toutefois été transmises au porte-parole du groupe parlementaire, Marc Danis, à savoir pourquoi le parti sollicitait les élus municipaux pour contribuer à sa caisse et si cela ne s’apparentait pas à du trafic d’influence.

« Il n’y a aucun accès privilégié », a toutefois indiqué dans un message texte le porte-parole du groupe parlementaire, en réponse aux questions de La Presse Canadienne.

Il a fait savoir que les ministres ont rencontré « plus de 1000 élus municipaux lors de rencontres formelles en 2023 ».

Ce n’est pas la première fois qu’une telle démarche de financement entreprise par la CAQ est mise au jour.

La semaine dernière, Radio-Canada révélait qu’une citoyenne qui souhaitait que son député, Sylvain Lévesque, fasse progresser son dossier s’est fait offrir de rencontrer le ministre des Finances, Eric Girard, en échange d’une contribution de 100 $ à la caisse du parti.

La commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale, Ariane Mignolet, a annoncé lundi qu’elle entreprenait une enquête sur le cas de Sylvain Lévesque.

Un ancien enquêteur de la commission Charbonneau, André Noël, s’était aussi élevé contre les pratiques de financement caquiste.

Selon lui, cela violait l’esprit de la loi sur le financement des partis politiques en ce sens qu’on monnayait l’accès aux ministres.

Au Québec, les contributions financières aux formations politiques sont encadrées par la loi sur le financement des partis politiques.

Élections Québec stipule que le donateur doit attester que sa « contribution a été faite à même ses propres biens, volontairement, sans compensation ni contrepartie, et qu’elle n’a fait ni ne fera l’objet d’un quelconque remboursement ».