(Ottawa) L’Inde est très préoccupée des « menaces à la sécurité nationale » qui émanent du Canada, a soutenu mardi le haut-commissaire de l’Inde au Canada, Shri Sanjay Kumar Verma, en qualifiant les crimes survenus en sol canadien de « malheureux ».

Le diplomate a voulu crever l’abcès dès les premières minutes de son allocution devant un parterre d’invités du Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), en abordant les aspects « négatifs » des liens entre le Canada et l’Inde.

« Chacun de vous est bien au courant des histoires qui sont couvertes par les médias – c’est un peu teinté, mais il devrait tout de même y avoir certains faits là-dedans », a-t-il laissé tomber sur une scène installée dans un hôtel montréalais.

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Des pancartes avec la photo du leader sikh Hardeep Singh Nijjar

« Il y a eu des crimes malheureux [ayant visé] des gens qui sont présentement citoyens canadiens, en grande partie », a-t-il poursuivi en évoquant des « étrangers » animés de mauvaises intentions quant à « l’intégrité territoriale de l’Inde ».

« C’est une ligne rouge pour nous. Les Indiens vont décider du destin de l’Inde, pas les étrangers, a insisté le haut-commissaire Shri Sanjay Kumar Verma. Ma préoccupation est la sécurité nationale [indienne], et les menaces qui viennent du territoire canadien. »

Sa présence à l’évènement du CORIM survient quelques jours après que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a arrêté trois hommes de nationalité indienne en lien avec le meurtre du leader sikh Hardeep Singh Nijjar.

Ce dernier était un partisan de la création, en Inde, d’un État sikh indépendant appelé le Khalistan.

Des accusations de complot pour meurtre et de meurtre avec préméditation, ont été formellement déposées mardi contre Karan Brar, 22 ans, Kamalpreet Singh, 22 ans, et Karanpreet Singh, 28 ans, devant la Cour provinciale de Surrey, en Colombie-Britannique.

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Kamalpreet Singh, Karanpreet Singh et Karan Brar

Des manifestants de la communauté sikhe s’étaient réunis à l’extérieur de l’édifice de la Cour provinciale. Ils n’ont pas été en mesure d’apercevoir les suspects, la comparution s’étant faite par visioconférence. La date de la prochaine apparition a été fixée pour le 21 mai, sauf pour Kamalpreet Singh, qui doit se trouver un avocat.

L’Inde blâme le Canada

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Shri Sanjay Kumar Verma, haut-commissaire de l’Inde au Canada

Il s’agit d’un développement significatif dans cette affaire qui a provoqué une crise diplomatique entre le Canada et l’Inde.

Le ministre indien des Affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar, a réagi à ces arrestations en attaquant le Canada, qu’il a accusé d’être un refuge de criminels.

« Le fait est qu’un certain nombre de membres de gangs, un certain nombre de personnes ayant des liens avec le crime organisé du Pendjab, ont été accueillis au Canada », a-t-il affirmé samedi en Inde.

« Ce sont des criminels recherchés en Inde, vous leur avez donné des visas… et pourtant vous leur permettez de vivre là-bas », a reproché le chef de la diplomatie indienne lors d’un évènement à Bhubaneswar.

« Nous ne sommes pas laxistes, et le ministre indien des Affaires étrangères a droit à son opinion », a riposté le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, lundi.

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Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller

S’il a refusé net de confirmer le statut migratoire des trois accusés, il a toutefois assuré que le gouvernement canadien vérifiait les antécédents criminels de toute personne postulant pour un visa étudiant.

De son côté, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a réaffirmé la position canadienne.

« On [a] dit depuis l’automne dernier qu’il y avait des allégations crédibles comme quoi un Canadien a été tué au Canada par des agents indiens », a-t-elle tranché en mêlée de presse, mardi.

Et pour le reste, la diplomatie donne de meilleurs résultats derrière des portes closes, a-t-elle fait valoir.

« En ce qui a trait à la relation avec l’Inde, je pense qu’il est toujours préférable que la diplomatie se déroule en privé », a argué la ministre Joly.

Le gang Bishnoi

Selon des sources proches de l’enquête consultées par CBC, les trois présumés meurtriers de Hardeep Singh Nijjar seraient associés au gang Bishnoi.

La tête dirigeante du groupe criminalisé, Lawrence Bishnoi, a revendiqué en septembre dernier l’assassinat, à Winnipeg, d’un homme accusé de crimes en Inde, Sukhdool Singh Gill, alias Sukha Duneke.

Le gang, qui a pris naissance dans l’État du Pendjab, est davantage motivé par « l’appât du gain » que par des convictions politiques, dit Serge Granger, professeur de sciences politiques à l’Université de Sherbrooke.

« Ce sont des tireurs à gages. Ils ont déjà tué des leaders sikhs en Inde, dont leur carte de visite était connue des autorités indiennes », explique le spécialiste de l’Inde.

Il fait peu de doutes dans son esprit que New Delhi va nier toute implication dans cette affaire, et que l’on va trouver un fonctionnaire à blâmer si la complicité de l’État indien est établie.

La GRC continue son enquête sur cette facette de l’histoire.

« Des enquêtes distinctes sont actuellement menées sur différents aspects du dossier […], dont un examen portant sur l’implication du gouvernement de l’Inde », a déclaré le commissaire adjoint David Teboul.

Avec La Presse Canadienne