(Québec) Des propos tenus par le premier ministre du Québec et par l’historien Éric Bédard lors de l’annonce du futur Musée national de l’histoire du Québec ont indisposé plusieurs groupes des Premières Nations. Ghislain Picard dénonce un « nationalisme étroit » et se demande quelle place les Premières Nations occuperont dans ce projet érigé sur les cendres des défunts Espaces bleus.

Le gouvernement du Québec persiste et signe : le futur musée ne sera pas consacré à l’histoire du Québec, mais plutôt à celui de la nation québécoise, qui est distincte des Premières nations.

« Je pense qu’il est important de commencer avec Champlain, au tout début », avait lancé François Legault le 25 avril dernier, lors de la conférence de presse pour annoncer ce Musée qui doit ouvrir en 2026 à Québec.

« On dit que l’histoire commence à l’écriture, et avant l’histoire, c’est la préhistoire. Peut-être que les autochtones sont un peu la préhistoire du Québec », avait pour sa part déclaré l’historien Éric Bédard, nommé par Québec sur le comité scientifique chargé d’établir le contenu du futur musée.

Le grand chef de la nation huronne-wendat, qui est souvent présent aux évènements politiques à Québec, n’avait d’ailleurs pas été invité à cette annonce, pas plus que l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL).

Même si M. Legault avait assuré que le nouveau musée allait souligner « la présence des nations autochtones qui étaient là avant nous-autres et qui nous ont aidés à travers les années », plusieurs groupes des Premières Nations ont mal digéré ces sorties.

« Les propos tenus sont inacceptables. Nous sommes indissociables de l’histoire de cette terre, et l’arrivée de Champlain ne définit pas le Québec. Les Premières Nations sont présentes ici depuis des millénaires et sont profondément attachées à ce territoire qu’ils occupent », a réagi mardi le chef de l’APNQL, Ghislain Picard.

« Suggérer que nous sommes la préhistoire revient à nous reléguer à un rôle secondaire, alors que notre contribution à la formation du Québec moderne est fondamentale. Ce nationalisme étroit ne représente pas l’histoire du Québec ; il omet des pans entiers pour des raisons politiques », continue du même souffle M. Picard.

Le chef de l’APNQL demande aux responsables du projet, qui relève du Musée de la civilisation, « d’impliquer activement des historiens autochtones reconnus ».

Le Conseil en Éducation des Premières Nations (CEPN) a aussi réagi par communiqué à l’annonce du futur musée. « Croire que l’histoire du territoire québécois ne commence qu’à l’arrivée de Samuel de Champlain est inexact. Je tends la main au premier ministre Legault et à l’équipe du nouveau Musée national de l’histoire du Québec pour que la population puisse comprendre l’importance que nous avons », signale Denis Gros-Louis, directeur général du CEPN.

Des nations distinctes

Le ministre de la Culture du Québec, qui pilote le dossier, a précisé mardi qu’il ne s’agissait pas d’un musée sur l’histoire du Québec, mais plutôt de la nation québécoise.

« Ce ne sera pas un musée sur l’histoire de l’occupation du territoire de la vallée du Saint-Laurent, mais un musée sur l’histoire de notre nation, la nation québécoise », a précisé Mathieu Lacombe. « C’est une évidence de dire que nos nations sont différentes et qu’on a une histoire qui est différente. »

« On est très respectueux de l’histoire des Premières Nations elles-mêmes, on est des nations différentes et on travaille de nation à nation. Eux-mêmes nous disent qu’ils veulent cette posture-là. Je pense que c’est important de travailler avec elles, mais ça ne nous empêche pas d’avoir un musée sur notre nation, notre nation québécoise », a ajouté le ministre.

Le ministre a toutefois indiqué que malgré cela, il faudra faire une place aux Premières nations dans le projet.

Rappelons que ce musée doit ouvrir ses portes au printemps 2026, dans le pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, restauré pour l’occasion.

Ce nouvel établissement naîtra en quelque sorte sur les cendres des Espaces bleus. Annoncés en grande pompe en 2021, ceux-ci devaient être aménagés dans les 17 régions du Québec pour honorer « l’histoire des héros et des bâtisseurs ». Ce réseau de musées devait notamment convaincre les Québécois d’oublier « Cancún ou Puerto Plata » pour visiter la province.

Mais l’explosion des coûts a eu raison du projet. La facture était d’abord estimée à 259 millions de dollars, puis flirtait avec le milliard début mars. C’est à ce moment que le gouvernement caquiste a annoncé la fin du projet, dix jours avant la présentation d’un budget provincial assorti d’un déficit record de 11 milliards.

Seuls 4 des 17 projets annoncés pourraient voir le jour. Celui de Québec, dans le pavillon Camille-Roy du Séminaire, deviendra donc un musée de l’histoire. Le bâtiment de 1854 a dû être restauré et aménagé aux standards muséaux. Le coût est estimé à 92 millions.

Avec Tommy Chouinard, La Presse