(Ottawa) Le temps doux qui s’est installé sur la capitale fédérale depuis quelques jours constituera sans doute un léger baume pour les députés qui reprennent le boulot ce lundi après une pause parlementaire de six semaines. Ottawa, après tout, fait partie du top 10 des capitales les plus froides du monde.

Mais cela ne veut pas dire pour autant que le ciel politique est devenu plus clément pour les libéraux de Justin Trudeau. Au contraire. La session qui s’amorce lundi est celle de tous les périls pour le gouvernement libéral qui, faut-il le rappeler, est minoritaire à la Chambre des communes et est au pouvoir depuis 2015.

Fruit du hasard, les travaux parlementaires reprennent le jour même où la Commission sur l’ingérence étrangère commence à ausculter les activités d’ingérence étrangère auxquelles se seraient livrées la Chine, la Russie et l’Inde durant les élections fédérales de 2019 et 2021. Présidée par la juge Marie-Josée Hogue, cette commission a été mise sur pied par le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, après que le gouvernement Trudeau eut résisté pendant des mois aux pressions des partis de l’opposition.

Je pense que cet exercice va être quelque chose qui sera profondément inconfortable pour le gouvernement chinois.

Jennifer May, ambassadrice du Canada en Chine, dans une entrevue accordée à l’émission The House de la radio CBC

L’exercice pourrait être tout aussi inconfortable pour le gouvernement Trudeau. Si la commission conclut que le premier ministre et son cabinet n’ont pas pris la menace de l’ingérence étrangère suffisamment au sérieux, malgré les nombreux avertissements du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) au fil des années, cela pourrait donner de nouvelles munitions au Parti conservateur, qui caracole en tête dans les intentions de vote depuis neuf mois.

Un budget crucial

Pour assurer la survie de son gouvernement aux Communes jusqu’en juin 2025, Justin Trudeau a conclu en mars 2022 une entente avec le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh. Le NPD s’est engagé à appuyer le gouvernement libéral durant les votes de confiance qui portent notamment sur le budget. En échange de cet appui, les libéraux se sont engagés à mettre en œuvre certaines mesures qui sont chères au NPD.

Certaines d’entre elles ont vu le jour : la création d’un programme national de soins dentaires, l’octroi de 10 jours de congé de maladie payés pour les travailleurs employés d’une entreprise à charte fédérale, des investissements dans la construction de logements et le dépôt d’un projet de loi anti-briseurs de grève. Mais la création d’un régime universel d’assurance médicaments, comme le réclament les troupes de Jagmeet Singh dans l’entente signée avec les libéraux, est devenue une source de tensions entre les deux partis.

Au départ, le NPD exigeait le dépôt d’un projet de loi jetant les bases d’un tel programme avant la fin de l’année 2023. Il a accepté de repousser cet échéancier au 1er mars en entretenant l’espoir que cela fera partie du prochain budget déposé par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, au printemps. Mais le ministre de la Santé, Mark Holland, a encore récemment fait savoir que le programme envisagé par le NPD est trop dispendieux. À terme, il pourrait coûter 13,4 milliards de dollars au gouvernement fédéral et aux provinces, selon les calculs du directeur parlementaire du budget, Yves Giroux.

À ce sujet, Jagmeet Singh a montré des signes d’impatience la semaine dernière durant la réunion du caucus du NPD à Edmonton. Selon lui, les négociations avec les libéraux sont aussi difficiles que d’attraper des anguilles couvertes d’huile.

PHOTO PATRICK DOYLE, REUTERS

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, dimanche à Ottawa

Ils sont juste gluants et ne respectent pas leurs promesses. Ils disent une chose et essaient ensuite de s’en sortir, mais nous n’abandonnerons pas et nous ne reculerons pas.

Jagmeet Singh, chef du NPD

Les décisions qu’aura à prendre le gouvernement Trudeau avant de présenter son prochain budget risquent d’être les plus difficiles depuis son arrivée au pouvoir. La crise du logement, la hausse du coût de la vie, les dépenses en matière de sécurité et de défense dans un contexte international de plus en plus instable, entre autres, sont autant de dossiers où les pressions sont fortes pour de nouveaux investissements tandis que la marge de manœuvre est mince à Ottawa et que l’économie canadienne tourne au ralenti.

Si le gouvernement Trudeau réussit à faire adopter son prochain budget sans trébucher, il y a peu de chances que les Canadiens soient convoqués aux urnes en 2024.

Le leadership de Justin Trudeau

Le député libéral de Terre-Neuve-et-Labrador Ken McDonald est devenu, la semaine dernière, le premier élu à remettre en cause le leadership de Justin Trudeau avant de battre en retraite 24 heures plus tard.

Au micro de Radio-Canada, M. McDonald a déclaré candidement que les libéraux ont « atteint leur date de péremption » et qu’il doutait que M. Trudeau soit la meilleure personne pour diriger les troupes libérales aux prochaines élections.

Même si M. McDonald a tenté de corriger le tir, le mal était fait. Il faut s’attendre à ce que d’autres élus tirent la même conclusion tôt ou tard au cours des prochains mois si le Parti conservateur réussit à consolider son avance dans les sondages. Dimanche, la firme Abacus Data a publié un autre sondage qui donne une solide avance de 15 points aux conservateurs de Pierre Poilievre (40 %) sur les libéraux de Justin Trudeau (25 %). Une telle avance permettrait au Parti conservateur de former un gouvernement majoritaire.

Il reste qu’il serait périlleux pour les libéraux de changer de chef à moins de deux ans des prochaines élections. D’abord, plusieurs libéraux continuent de croire que Justin Trudeau demeure leur meilleur atout. Ensuite, il n’y a pas de sauveur prêt à prendre rapidement le relais. Enfin, une course au leadership provoque immanquablement des divisions au sein d’un parti. Un parti divisé ayant à sa tête un nouveau chef moins connu aurait-il plus de succès auprès de l’électorat ? Rien n’est moins sûr.