(Ottawa) Les prochaines élections fédérales pourraient n’avoir lieu qu’en octobre 2025. Deux ans, c’est une éternité en politique, soulignent les experts. De nombreux évènements imprévus pourraient influencer l’humeur des électeurs.

Depuis six mois, les sondages indiquent tout de même une tendance lourde. Le Parti conservateur détient une avance si considérable sur les libéraux de Justin Trudeau – 14 points en moyenne en ce moment, selon le site 338Canada – qu’il formerait un gouvernement majoritaire si des élections fédérales avaient lieu aujourd’hui.

Résultat : le gouvernement Trudeau fera tout en son possible pour éviter des élections hâtives. Les libéraux ne veulent pas convoquer les Canadiens aux urnes avant la fin de leur mandat, soit en octobre 2025. Le Nouveau Parti démocratique (NPD), qui a conclu une entente qui assure la survie des libéraux, minoritaires aux Communes, jusqu’en juin 2025 en échange de la mise en œuvre de mesures qui lui sont chères, loge à la même enseigne. Et des élus du Bloc québécois ont confié à des ministres libéraux qu’ils feront preuve de patience avant de se lancer en campagne électorale.

« Moi, deux ans avant les élections, ça ne me dérange pas du tout. Ça permet de bien identifier, définir et faire connaître nos adversaires », a d’ailleurs lancé mercredi dernier le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.

Il reste que l’effet Pierre Poilievre se fait déjà sentir. Aux Communes, le chef conservateur aiguise constamment ses attaques contre les autres formations politiques.

M. Poilievre communique son message avec une redoutable efficacité, dans les deux langues officielles, et sans lire de notes, comme le font la majorité des députés. Son message est simple et direct. Il fait appel, comme il se plaît à le répéter, « au gros bon sens » des Canadiens.

Devant une telle offensive conservatrice, le gouvernement Trudeau, le NPD et, dans une certaine mesure, le Bloc québécois doivent ajuster leur stratégie. Dans le cas des libéraux, cela les conduit à annoncer des mesures qui s’apparentent à ce que propose depuis quelques mois Pierre Poilievre. C’est notamment le cas dans le dossier de la crise du logement, où Ottawa impose des conditions plus contraignantes aux municipalités avant d’obtenir des investissements fédéraux. Le but est d’accélérer la délivrance des permis et de favoriser la construction dans les secteurs où l’on offre de bons services de transport en commun.

Dans le cas des libérations conditionnelles, le nouveau ministre de la Justice, Arif Virani, a proposé de faire adopter à toute vitesse, dès la reprise des travaux parlementaires, une réforme longtemps réclamée par les conservateurs et de nombreuses provinces. Entre autres choses, cette réforme qui est maintenant au Sénat rendrait plus difficile la libération sous caution de certains récidivistes violents en attente d’un procès.

La charge que mène tous azimuts Pierre Poilievre contre la gestion des affaires de l’État a aussi conduit le gouvernement Trudeau à proposer des mesures dans la précipitation, sans en avoir évalué complètement les conséquences politiques.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit récemment quand le premier ministre Justin Trudeau a annoncé, à la surprise générale, la suspension de la taxe carbone pour la livraison de mazout jusqu’à la fin de 2026-2027.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau, lors de l’annonce de la suspension de la tarification carbone sur le mazout, le 26 octobre dernier, à Ottawa

Cette mesure s’applique à l’ensemble du pays, mais elle profite davantage aux résidants des provinces de l’Atlantique où près de 30 % des ménages se chauffent au mazout. Depuis quelques mois, l’appui aux libéraux dans ces quatre provinces est en chute libre.

L’annonce de Justin Trudeau est survenue le jour même où le chef conservateur devait tenir un grand rassemblement partisan en Nouvelle-Écosse pour exiger l’abolition de la taxe sur le carbone.

Cette annonce a provoqué la consternation chez plusieurs libéraux et a soulevé un vent de colère d’un océan à l’autre. Le gouvernement de la Saskatchewan menace de ne plus percevoir la taxe carbone sur le gaz naturel si Ottawa refuse d’accorder aussi une exemption aux résidants qui se chauffent avec ce type d’énergie. Le gouvernement de l’Alberta menace de traîner le gouvernement fédéral devant les tribunaux au motif que l’on agit d’une manière discriminatoire envers ses citoyens. Le nouveau gouvernement néo-démocrate du Manitoba exige un traitement équitable envers ses citoyens. Le gouvernement du NPD de la Colombie-Britannique a fait la même demande.

« La volte-face du premier ministre par rapport à sa taxe sur le carbone fait deux classes de Canadiens : certains qui sont temporairement exemptés des taxes sur leur chauffage et d’autres qui vont devoir payer la deuxième taxe sur le carbone », a lancé le chef conservateur aux Communes, accusant au passage Justin Trudeau de miner l’unité nationale.

Continuant de frapper sur ce clou, M. Poilievre a mis au défi Justin Trudeau de suspendre la taxe carbone sur tous les types de chauffage d’ici les prochaines élections. Des élections qui devraient être, selon lui, un référendum sur cette taxe.

« Je trouve incroyable qu’après trois échecs électoraux consécutifs, les conservateurs veuillent encore faire campagne en niant les changements climatiques et les coûts qu’ils engendrent. Après l’été que nous avons vécu, ils continuent de dire qu’aucun plan de lutte contre les changements climatiques n’est bon pour les Canadiens, pour notre économie et pour nos entreprises. Ils ont tort, et les Canadiens le leur montreront une fois de plus », a riposté Justin Trudeau.

Dans l’immédiat, Pierre Poilievre accentue la pression sur les troupes libérales. Il a déposé une motion qui exige la suspension de la taxe carbone sur toutes les formes de chauffage résidentiel. Cette motion sera mise aux voix lundi.

Le NPD, qui est l’allié objectif du gouvernement Trudeau aux Communes, a fait savoir qu’il va voter en faveur de la démarche du Parti conservateur. Le vote pourrait provoquer des fissures au sein des troupes libérales. Car comme l’a si bien relevé Pierre Poilievre aux Communes, il y a plusieurs circonscriptions qui sont représentées par des élus libéraux dans le nord de l’Ontario ou encore au Manitoba où les gens ont aussi de la difficulté à payer leur facture de chauffage au moment où tout coûte plus cher.