(Ottawa) Sans tambour ni trompette, la cheffe de cabinet du premier ministre Justin Trudeau, Katie Telford, vient d’établir un record de longévité. Cela fait maintenant plus de huit ans qu’elle veille aux opérations du gouvernement au quotidien en tant que femme de confiance du premier ministre.

Auparavant, ce record appartenait à l’illustre Jean Pelletier, l’ancien maire de Québec qui avait accepté de devenir le chef de cabinet de Jean Chrétien à Ottawa pendant huit ans, soit de 1993 à 2001.

Le record que vient d’établir Katie Telford est loin d’être banal. D’autant que Mme Telford n’est que la deuxième femme à occuper de telles fonctions dans l’histoire du pays. La première à le faire, Jodi White, avait occupé ce poste névralgique pendant le court mandat de Kim Campbell comme première ministre en 1993, soit à peine quatre mois.

Native de Toronto et âgée de 45 ans, Katie Telford a réussi ce tour de force même si le gouvernement Trudeau a dû composer avec une kyrielle de défis complexes : l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, un président imprévisible qui a donné des maux de tête au Canada pendant quatre ans ; la pandémie de COVID-19, qui a mis l’économie mondiale sur pause pendant deux ans ; l’inflation et la crise du logement, qui minent la popularité des libéraux ; les froids diplomatiques avec la Chine et l’Inde ; enfin, la guerre entre Israël et le Hamas qui se poursuit.

Mme Telford, qui a été page à Queen’s Park à l’âge de 12 ans et a étudié la science politique à l’Université d’Ottawa, a d’abord fait ses armes au sein du gouvernement libéral de Dalton McGuinty, en Ontario, dans les années 2000. Elle a notamment été cheffe de cabinet de l’ancien ministre de l’Éducation Gerard Kennedy. Elle était alors dans la mi-vingtaine.

Le record qu’elle a établi à Ottawa risque de résister au passage du temps. Car le poste de chef de cabinet est une fonction qui dévore littéralement les personnes qui l’occupent.

À titre d’exemple, l’ancien premier ministre Stephen Harper, qui a été au pouvoir pendant neuf ans, a vu défiler dans son bureau un nouveau chef de cabinet essentiellement tous les deux ans – Ian Brodie, Guy Giorno, Nigel Wright et Ray Novak.

Durant les 10 ans qu’il a été premier ministre, Jean Chrétien a eu en tout deux chefs de cabinet – Jean Pelletier et Percy Down, qui a été en poste deux ans avant d’être nommé au Sénat.

Pour sa part, l’ancien premier ministre Brian Mulroney, qui a dirigé le pays pendant neuf ans, a été épaulé dans ses fonctions par quatre chefs de cabinet, dont Bernard Roy et Hugh Segal.

Dimitri Soudas a été un proche collaborateur de Stephen Harper pendant près d’une décennie. Il estime que le record de longévité établi par Katie Telford est remarquable à plusieurs égards.

« Plus exigeant que le poste de premier ministre »

« S’il y a un poste au pays qui est littéralement plus exigeant que celui de premier ministre, c’est celui de chef de cabinet. Cette longévité indique que c’est une personne d’une grande loyauté, et que c’est une personne qui a la confiance absolue du premier ministre. C’est aussi la personne, encore aux yeux du premier ministre, qui est capable de mettre en œuvre le programme, les priorités et les directives du premier ministre », a analysé M. Soudas.

« Le chef de cabinet ou la cheffe de cabinet d’un premier ministre a plus d’influence que tout le cabinet mis ensemble. On peut bien débattre pour savoir si elle devrait céder sa place à quelqu’un d’autre. On peut aussi se demander si elle est toujours la meilleure personne pour occuper ce poste », a-t-il ajouté.

Mais ce que l’on dit ou ce que l’on pense, cela n’a aucune valeur. Tout ce qui compte, c’est ce que le premier ministre pense d’elle.

Dmitri Soudas, analyste politique et ancien collaborateur de Stephen Harper

Selon Dimitri Soudas, qui est aujourd’hui analyste à l’émission Mordus de politique sur RDI, entre autres choses, ce serait « une erreur monumentale » de remplacer Katie Telford par une autre personne qui n’était pas avec Justin Trudeau dès le début, malgré les déboires des libéraux dans les sondages nationaux depuis six mois.

« La seule personne qui pourrait remplacer Katie Telford efficacement, c’est Gerry Butts. Un nouveau venu va chercher les toilettes au parlement pendant quatre mois ! », a-t-il lancé.

Influence indéniable

L’influence de cette femme est indéniable quand on décortique les principales politiques et les grandes décisions du gouvernement Trudeau. Deux exemples viennent rapidement à l’esprit. Le programme national de garderies, qui a été mis en œuvre d’un bout à l’autre du pays en s’inspirant du modèle québécois. Dans son budget de 2021, le gouvernement Trudeau a injecté 30 milliards sur cinq ans afin de mettre sur pied ce programme qui, à terme, doit permettre d’offrir des places en garderie à 10 $ par jour en moyenne d’ici 2026.

L’autre exemple récent est la dernière nomination du premier ministre à la Cour suprême du Canada, en août. Justin Trudeau a jeté son dévolu sur une juge franco-albertaine, Mary Moreau. Résultat : le plus haut tribunal du pays est maintenant composé majoritairement de femmes pour la première fois de son histoire.

L’influence de Katie Telford se fait aussi sentir dans la composition du cabinet du premier ministre, qui est paritaire depuis 2015. Plus que dans tout autre gouvernement auparavant, plusieurs femmes y occupent des fonctions de première importance – Chrystia Freeland est ministre des Finances et vice-première ministre, Mélanie Joly dirige les Affaires étrangères, Anita Anand est à la tête du Conseil du Trésor et Pascale St-Onge tire habilement son épingle du jeu au Patrimoine.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La leader du gouvernement en Chambre, Karina Gould, avant son congé de maternité

À cette liste, il faut ajouter le nom de la ministre Karina Gould, leader du gouvernement en Chambre. Avant de partir en congé de maternité, en décembre, pour accoucher de son deuxième enfant, elle a impressionné beaucoup de gens dans les rangs libéraux en répondant avec aplomb, force et conviction aux attaques soutenues du chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, tout au long de la session parlementaire de l’automne.

Si Katie Telford aime travailler surtout dans l’ombre de Justin Trudeau depuis 2015, son influence est palpable au quotidien à Ottawa.