Brian Mulroney, 18e premier ministre du Canada qui aimait s’identifier comme « le p’tit gars de Baie-Comeau », est mort jeudi. Il avait 84 ans.

Sa fille Caroline Mulroney en a fait l’annonce sur le réseau X.

Premier ministre progressiste-conservateur du Canada du 17 septembre 1984 au 25 juin 1993, Brian Mulroney s’est fait remarquer par un style de gestion en rupture avec celui des libéraux de l’ère Trudeau, durant une période émaillée par nombre d’évènements politiques de grande envergure, tant sur la scène internationale qu’à l’intérieur du pays.

Son premier mandat a ainsi été marqué par le lancement de négociations avec les provinces en vue de ramener le Québec au sein de la constitution canadienne (accords du Lac Meech), ainsi qu’avec les États-Unis pour en venir à un accord de libre-échange économique.

Ce changement de ton s’est fait dans la foulée d’une victoire éclatante des conservateurs aux élections fédérales du 4 septembre 1984. Mais au bout de neuf ans, confrontés à une récession mondiale, des scandales et une grogne manifeste des Canadiens face à l’imposition de la taxe sur les produits et services (TPS), les conservateurs ont subi une des pires raclées dans l’histoire politique du pays, peu après qu’il eut cédé les rênes du parti à sa ministre Kim Campbell.

Il a aussi suscité beaucoup d’admiration pour sa position ferme et moderniste contre l’apartheid en Afrique du Sud. Mais son étoile aura pâli en raison de ce qu’on a appelé l’affaire Airbus et de ses liens commerciaux personnels avec l’homme d’affaires Karlheinz Schreiber. Cette histoire est survenue après son retrait de la vie politique.

Ces dernières années, M. Mulroney avait ralenti ses nombreuses activités en raison de problèmes de santé. En avril 2023, la famille avait fait savoir qu’il se rétablissait de traitements pour soigner un cancer de la prostate. Puis, le 21 août 2023, sa fille Caroline, alors ministre des Transports de l’Ontario, avait annoncé que son père avait été récemment opéré au cœur.

Malgré cela, il continuait à faire quelques apparitions publiques et accorder des entrevues aux médias. Ainsi, dans une entrevue publiée dans La Presse du 15 octobre 2023, il affirmait que le Canada devait donner un appui complet à Israël dans sa guerre contre le Hamas. Le 7 décembre, M. Mulroney et sa femme Mila annonçaient un don global de 1,5 million de dollars à trois fondations, soit celle du CHUM (500 000 $), l’Institut de cardiologie de Montréal (500 000 $) et de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (500 000 $). Il s’agissait pour lui d’exprimer sa « gratitude » envers les professionnels qui l’ont soigné.

De la pratique à la politique

Né le 20 mars 1939 à Baie-Comeau, Brian Mulroney était très fier de ses origines modestes, lui dont le père Benedict était électricien dans une papetière. Ce dernier et sa femme Irene O’Shea ont eu six enfants.

Après des études en science politique en Nouvelle-Écosse et en droit à l’Université Laval, à Québec, Brian Mulroney devient avocat à Montréal au milieu des années 1960. Mais déjà, il s’intéresse de près à la vie politique. D’ailleurs, c’est en 1956, alors qu’il est encore étudiant, qu’il se rend pour la première fois à Ottawa participer au congrès du Parti conservateur, où il donne son appui à John Diefenbaker, futur vainqueur de la course à la direction.

À l’université, Mulroney noue des amitiés fortes et durables avec plusieurs collègues tels Bernard Roy, Lowell Murray, Michael Cogger et Lucien Bouchard (jusqu’à leur rupture en 1990), pour en nommer quelques-uns. Durant ses années à l’Université Laval, il est aussi conseiller de Diefenbaker.

Par son travail d’avocat, Brian Mulroney entre rapidement dans l’œil médiatique. En septembre 1967, par exemple, il représente les armateurs devant la commission Picard chargée de faire la lumière sur les conditions de travail dans les ports du Saint-Laurent.

Le 1er mai 1974, Brian Mulroney est nommé, avec Guy Chevrette et Robert Cliche, à la commission d’enquête sur l’exercice de la liberté syndicale dans l’industrie de la construction (commission Cliche). Celle-ci est mise sur pied par le gouvernement libéral de Robert Bourassa à Québec à la suite de saccages commis sur le chantier de la Baie-James.

« Mon rôle au sein de la Commission m’apprit une vérité essentielle sur le gouvernement : les bonnes lois ont peu de valeur si elles ne sont pas appliquées », écrit M. Mulroney dans son autobiographie Mémoires publiée en 2007.

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Le mariage de Brian Mulroney et de Mila Pivnicki a été annoncé dans La Presse en 1973.

Entre-temps, le 26 mai 1973, Mulroney épouse Mila Pivnicki. Le couple aura quatre enfants : Caroline, Ben, Mark et Nicolas. Ce dernier voit le jour le 4 septembre 1985, un an jour pour jour après la victoire des troupes conservatrices.

N’ayant jamais été élu ou fait de la politique active, Brian Mulroney se présente, le 13 novembre 1975, dans la course à la succession de Robert Stanfield, chef du Parti conservateur. En conférence de presse à Montréal, il dit vouloir « mettre fin à un long régime libéral » tout en faisant un plaidoyer pour « un pays indivisible ».

À l’image des réserves qu’exprimera Ronald Reagan face à la taille de l’État, il déclare ce jour-là : « Nous ne devons pas hésiter à affirmer qu’un gouvernement n’est pas meilleur parce qu’il est gros. »

Le congrès a lieu le 22 février 1976 au Centre municipal d’Ottawa et M. Mulroney, avec seulement 369 votes (15,8 %), se retire au terme du troisième tour. Joe Clark remporte l’investiture le tour suivant, devant Claude Wagner.

De 1976 à 1983, M. Mulroney sera tour à tour vice-président exécutif puis président de la société minière Iron Ore. C’est durant cette période que la mine de fer de Schefferville est fermée.

En 1983, alors que le chef conservateur Joe Clark, qui a été brièvement premier ministre du pays en 1979-1980, remet son poste en jeu, Brian Mulroney fait un retour en politique active et se présente à la course à la direction. Le samedi 11 juin, au terme de quatre tours, il bat Joe Clark par 1584 voix contre 1325 et devient le premier Québécois bilingue à diriger le parti.

Battu, Joe Clark restera néanmoins fidèle au parti et deviendra ministre des Affaires étrangères durant six ans et demi dans le gouvernement Mulroney avant d’être nommé secrétaire du Conseil privé.

Premier mandat

Le 30 juin 1984, après le retrait de Pierre Elliott Trudeau de la vie politique, John Turner devient chef du Parti libéral et premier ministre du Canada. Rapidement, il déclenche des élections générales.

Fatigués par l’usure du pouvoir, les libéraux n’en mènent pas large. Chez les conservateurs, la confiance règne autour du jeune chef Brian Mulroney, maintenant député aux Communes à la faveur d’une élection partielle.

Au premier débat des chefs, le 24 juillet 1984, Mulroney prend Turner à partie sur la question des nominations politiques partisanes. Le chef libéral tente de rejeter la faute sur son prédécesseur, disant ne pas avoir eu le choix. Mulroney lui répond qu’il avait ce choix de mettre un terme aux « vieilles attitudes et aux vieilles histoires du Parti libéral ». Le coup porte.

Deux semaines plus tard à Sept-Îles, Mulroney s’engage de nouveau à tout faire pour ramener le Québec au sein de la Constitution canadienne, rapatriée unilatéralement par Pierre Elliott Trudeau en 1982, « avec honneur et enthousiasme ».

Au soir du 4 septembre 1984, le résultat est sans équivoque. Le PCC remporte 211 des 282 sièges à la Chambre des communes, laissant des miettes aux partis de l’opposition.

« Notre mandat est clair et il s’agit de créer des emplois », lance le premier ministre désigné devant 5000 partisans réunis à Baie-Comeau. Sur la question de la place du Québec dans le Canada, il dit : « Je suis confiant qu’avec votre appui, nous pouvons bâtir une situation de prospérité pour notre cher Québec dans un Canada uni. »

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Le premier ministre Brian Mulroney et son homologue québécois René Lévesque, en 1985

Le premier ministre du Québec, René Lévesque, accepte d’emblée ce « beau risque » de la main tendue par son nouveau vis-à-vis fédéral. Une attitude qui mène pratiquement à l’implosion du gouvernement du Parti québécois avec une défection de ses représentants les plus farouchement indépendantistes.

À Ottawa, le passage du pouvoir survient alors que le pape Jean-Paul II tient sa première visite au Canada (9-20 septembre 1984). Brian Mulroney l’accueille dans la capitale nationale à sa dernière journée au pays.

PHOTO ANDY CLARK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Brian Mulroney, sa femme Mila et le pape Jean-Paul II, à Ottawa, en septembre 1984

Dans les semaines suivantes, le nouveau gouvernement conservateur se met en marche. Au menu : privatisation des sociétés d’État, réductions budgétaires dans plusieurs ministères, signatures d’ententes fédérales-provinciales. Autour de 11 % à l’arrivée des conservateurs, le taux de chômage baisse graduellement jusqu’en 1989.

Toujours sur le plan intérieur, fidèle à sa promesse, Brian Mulroney lance une ronde de négociations avec les provinces au printemps 1987. Après des semaines de discussions, l’accord du lac Meech est conclu le 3 juin. Les cinq conditions demandées par le Québec, dont la reconnaissance de la province comme société distincte, sont acceptées.

Nous avons tous espéré pouvoir un jour oublier nos différends et œuvrer ensemble à l’accomplissement de notre destinée commune en tant que Canadiens.

Brian Mulroney, le 3 juin 1987

Dans ses Mémoires, il décrit le moment où l’accord est enfin trouvé sous les applaudissements des dix premiers ministres provinciaux comme « un des gestes les plus touchants dont j’ai été l’objet au cours de mes neuf années comme premier ministre ».

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Après avoir été détenu en prison pendant près de 30 ans, Nelson Mandela s’est rendu au Canada en juin 1990 pour s’adresser aux élus canadiens au Parlement.

Sur le plan international, Mulroney met de l’avant, dès 1985, une politique antiapartheid énergique. Il va jusqu’à menacer, à la tribune des Nations unies, de rompre les relations diplomatiques avec l’Afrique du Sud. Sa combativité contraste avec l’attitude d’autres dirigeants occidentaux, dont Margaret Thatcher, de qui il est proche.

À la mi-mars 1985, il s’envole pour Moscou pour assister aux funérailles de Constantin Tchernenko, dirigeant soviétique, et rencontre son successeur, Mikhaïl Gorbatchev. À son retour au Canada, il partage ses impressions avec son homologue américain Ronald Reagan en visite officielle à Québec les 17 et 18 mars.

Cette rencontre baptisée Shamrock Summit en raison des origines irlandaises des deux hommes politiques et parce qu’elle coïncide avec la fête des Irlandais marque une étape importante dans les relations canado-américaines. On y jette les bases de plusieurs négociations : lutte contre les pluies acides, protection accrue dans l’Arctique et surtout le libre-échange.

Deuxième mandat

Après des résultats stratosphériques en 1984, le PCC et M. Mulroney sont en partie ramenés sur terre aux élections du 21 novembre 1988. En dépit de leur bilan dans le premier mandat, ils traînent quelques casseroles, comme le scandale du thon avarié et plusieurs nominations partisanes.

Cela dit, le libre-échange est l’enjeu principal du scrutin. Mulroney et ses troupes convainquent assez de Canadiens pour aller de l’avant. Le Parti conservateur est réélu à la majorité avec 169 des 295 sièges disponibles, un recul de 42 sièges sur le score du 4 septembre 1984.

Ce deuxième mandat est nettement plus pénible, notamment sur le plan intérieur.

D’abord, l’entente du lac Meech coule. À la suite de l’accord du 3 juin 1987, les provinces ont trois ans pour faire adopter celle-ci dans leurs assemblées législatives. Ça ne sera pas le cas au Manitoba et à Terre-Neuve.

Quelques députés fédéraux du Québec, dont Lucien Bouchard, qui remet sa démission comme ministre de l’Environnement, Louis Plamondon et Jean Lapierre (chez les libéraux), font défection et forment le Bloc québécois. Mulroney assiste à un regain souverainiste au Québec, mouvement marqué par l’élection de Gilles Duceppe du Bloc québécois dans une élection partielle en août 1990.

Ailleurs au pays, ça ne va pas mieux. En rupture avec le PCC et voués à faire entendre la voix de l’Ouest aux Communes, d’anciens conservateurs créent le Reform Party et font élire une première députée (Deborah Grey) dans une élection partielle en mars 1989. Dans les Maritimes, l’adoption d’un moratoire sur la pêche à la morue, rendu nécessaire pour régénérer les stocks, fait très mal au parti au pouvoir.

Une récession mondiale pointe aussi à l’horizon. Au Canada, le taux de chômage remonte à 10,7 % en 1992-1993.

S’ajoute enfin l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1991, de la taxe sur les produits et services (TPS) en remplacement de la taxe de vente fédérale (TVF) appliquée sur la « fabrication de produits ». Ottawa, toujours empêtré dans une lutte contre les dépenses et les déficits, estime qu’elle rapportera plus de 20 milliards dans les coffres dès la première année. Mais les Canadiens ne la digèrent pas.

Pendant ce temps, sur le plan international, Brian Mulroney est au premier rang de l’Histoire en marche alors que le mur de Berlin tombe, que l’Union soviétique est démantelée et que la première guerre du Golfe se voit et se vit en direct sur CNN.

Le Canada répond présent à la demande des États-Unis de former une coalition internationale destinée à chasser les troupes du dirigeant irakien Saddam Hussein au Koweït. Par l’opération Friction, le Canada participe à un conflit armé pour la première fois depuis la guerre de Corée.

Par ailleurs, avec un regain de vie chez les libéraux avec leur nouveau chef Jean Chrétien et une grande impopularité dans les intentions de vote (18 % contre 44 % aux libéraux selon un sondage Angus Reid-Le Soleil publié le 12 janvier 1993), Brian Mulroney décide de tourner la page. Le 24 février, il annonce sa démission.

Le moment est venu pour moi de céder ma place. J’ai servi de mon mieux mon pays et mon parti et j’anticipe déjà le vent de renouveau et la vague d’enthousiasme que suscite l’avènement d’un nouveau chef.

Brian Mulroney, au moment d’annoncer sa démission, en février 1993

Pour un vent, c’en fut tout un ! Aux élections du 25 octobre 1993, les conservateurs, menés par Kim Campbell, sont pratiquement rayés de la carte en remportant seulement deux sièges, dont celui de Jean Charest dans Sherbrooke.

L’affaire Airbus

Après la politique, Brian Mulroney revient à la pratique du droit en retournant au sein de la firme Ogilvy Renault comme associé principal. Il siège à des conseils d’administration et est consultant à l’international. Mais deux ans et demi après son départ d’Ottawa commence l’affaire Airbus.

Le 18 novembre 1995, le Financial Post dévoile que la GRC a envoyé au gouvernement suisse une lettre demandant sa collaboration dans une enquête où l’ancien premier ministre est soupçonné d’avoir reçu des pots-de-vin à la suite de l’achat de 34 avions Airbus par Air Canada en 1988. Dès le lendemain, M. Mulroney dépose une poursuite de 50 millions pour diffamation contre le gouvernement fédéral et la GRC. Chez les conservateurs, on accuse Jean Chrétien et les libéraux d’être derrière cette divulgation.

L’affaire se conclut à l’amiable au début de janvier 1997. Le gouvernement canadien et la GRC présentent leurs excuses et versent 2,1 millions à M. Mulroney pour ses frais juridiques. La GRC poursuit néanmoins son enquête. Le 22 avril 2003, le dossier est fermé et M. Mulroney est blanchi.

L’affaire rebondira cependant avec la publication, en 2004, de l’ouvrage A Secret Trial, de William Kaplan, où il est question de commissions versées en argent liquide par l’homme d’affaires Karlheinz Schreiber à M. Mulroney autour de la vente d’Airbus. De son côté, Schreiber, qui a la double citoyenneté canadienne et allemande, tente d’éviter son extradition en Allemagne pour une histoire de fraude et corruption, en affirmant que Brian Mulroney et lui ont amorcé une relation d’affaires le 23 juin 1993 alors que le premier ministre occupait toujours cette fonction.

Face à toutes ces histoires, le gouvernement Harper crée la commission Oliphant chargée de faire la lumière sur les relations d’affaires entre les deux hommes. Le 31 mai 2010, le juge Jeffrey Oliphant conclut que l’ancien premier ministre a eu une relation d’affaires « inappropriée » avec Karlheinz Schreiber après avoir quitté son poste, notamment pour avoir reçu trois versements en argent liquide totalisant entre 225 000 $ et 300 000 $.

Le commissaire rejette la prétention de M. Schreiber voulant que Brian Mulroney a noué une relation d’affaires alors qu’il était premier ministre, mais il estime néanmoins que M. Mulroney a contrevenu à trois règles d’éthique concernant les traitements de faveur et les apparences de conflits d’intérêts.

En marge de cette affaire, la carrière post-politique de Brian Mulroney a été marquée de nombreuses activités. Ce dernier a notamment prononcé un éloge funèbre lors des funérailles de Ronald Reagan en juin 2004. Il a aussi vu à la création d’un institut d’étude politique à l’Université St. Francis-Xavier, son alma mater de la Nouvelle-Écosse.

En 2018, l’Université Laval à Québec a été mise dans l’embarras lorsque son projet de créer un centre de droit international au nom de l’ancien premier ministre a été rejeté dans un vote serré des professeurs de la faculté de droit à l’occasion d’un vote consultatif. La rectrice Sophie D’Amours a alors présenté ses excuses à l’ancien premier ministre et promis qu’un « projet d’envergure » serait relancé. C’est le cas depuis l’automne 2022. L’établissement a lancé le projet de construire un nouveau pavillon de 80 millions pour héberger l’École supérieure d’études internationales. L’édifice doit porter le nom de Carrefour international Brian-Mulroney.