Le Canada et le Québec positionnent l’Inde comme un acteur clé de leur stratégie pour l’Indo-Pacifique. Le Québec envisage même l’ouverture de son propre bureau, l’actuel étant situé au sein du consulat du Canada à Mumbai. Cela avait d’ailleurs été suggéré dans un document de recommandation politique produit par l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM).

C’est la croissance économique de l’Inde et son titre de « plus grande démocratie » qui justifient l’engouement et l’intérêt international.

Le 19 avril, le pays est entré en période électorale. Un exercice démocratique d’une ampleur sans précédent : jusqu’au 1er juin, 969 millions de personnes sont appelées aux urnes. Depuis 2014, c’est le Bharatiya Janata Party (BJP) qui est à la tête du pays avec le premier ministre Narendra Modi.

Le BJP est un parti nationaliste hindou d’extrême droite qui a changé drastiquement le paysage politique de l’Inde durant ses deux mandats majoritaires (2014 et 2019).

Un des changements importants apportés par le BJP concerne l’état de la démocratie indienne et la concentration de la richesse nationale dans les mains de quelques conglomérats. Cela se répercute sur le contexte électoral.

Contexte de violence

Le principal objectif politique du BJP est de faire de l’Inde un État hindou. C’est ce qu’il fait depuis 2014, en soutenant un discours prohindou, en adoptant des lois et des politiques discriminatoires envers les minorités religieuses et en renforçant son contrôle des espaces démocratiques.

Un impact concret est l’augmentation des violences entre les communautés religieuses, avec une grande tolérance, voire un silence de la part de l’État et des forces policières face aux actions violentes de groupes hindous. Cette violence pousse même plusieurs à demander l’asile au Canada.

Des mesures ont été prises par la Commission électorale pour assurer que le vote se fasse en toute sécurité, notamment par le déploiement de forces de police et d’observateurs. Ce sera à suivre dans les prochaines semaines.

Contrôle de l’information

Le gouvernement Modi restreint le travail des ONG de droits de la personne et le travail journalistique, par des régulations financières et l’utilisation à outrance de la Loi sur la prévention des activités illégales. Au nom de la sécurité nationale, plusieurs personnes ont été arrêtées sans preuve et sont souvent détenues de manière illégale.

En contexte électoral, cela pose des risques en termes d’accès à l’information et de liberté de la presse. Plusieurs journalistes craignent pour leur sécurité en ce début de scrutin.

Cette peur s’explique aussi par la proximité du gouvernement Modi avec les groupes Adani et Reliance Industries, tous deux exerçant ensemble un oligopole du paysage médiatique indien.

L’enjeu des fonds électoraux

La principale opposition du BJP est l’Alliance inclusive pour le développement national indien, menée par le Parti du Congrès, rassemblant 41 partis. Il faudra observer dans les prochaines semaines si cette coalition se présentera d’un front uni ou bien si elle sera plutôt fragmentée.

Un des principaux enjeux pour l’opposition concerne les fonds électoraux qui sont phénoménaux du côté du BJP, lui permettant notamment d’acheter massivement des espaces publicitaires pour saturer l’espace public.

Derrière cet écart se cache un système de financement privé des partis mis en place en 2017 par le BJP et récemment déclaré anticonstitutionnel par la Cour suprême. Par ce système, le parti de Modi a reçu près de 750 millions de dollars.

Pendant la campagne, le BJP a agi pour mettre des bâtons dans les roues de l’opposition. Le Parti du Congrès a par exemple vu ses comptes bancaires gelés un peu plus tôt dans l’année. Le ministre en chef de Delhi, élu sous la bannière du parti Aam Aadmi et important opposant à Modi, Arvind Kejriwal, s’est fait arrêter pour une affaire d’attribution de licences privées d’alcool à près d’un mois du début des élections.

À qui bénéficie cette puissance économique ?

L’Inde est en pleine croissance économique, anticipée à environ 7 % dans la présente année financière.

Une part d’explication réside dans la tendance du gouvernement Modi à agir de manière décisive, sans consulter le Parlement, et en concentrant les richesses au sein de quelques conglomérats. Par exemple, le Groupe Adani est celui qui en bénéficie le plus : il construit les ports, les autoroutes, les ponts, les parcs solaires et il exploite les mines. Gautam Adani est devenu l’homme le plus riche de l’Inde en 2022, et a atteint le troisième rang des personnes les plus riches au monde dans la même année.

PHOTO M. SCOTT BRAUER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le président du Groupe Adani, Gautam Adani, en octobre 2022

Cette croissance économique est loin de bénéficier à tout le monde, les inégalités sont extrêmes et grandissantes. Même si le pays a réduit le taux d’extrême pauvreté, près de la moitié de sa population de 1,4 milliard d’habitants vit toujours sous le seuil de pauvreté, alors que 10 % de la population possède 77 % de la richesse nationale totale. Les besoins sont surtout criants au niveau de la création d’emplois. Il est estimé qu’environ 70 millions d’emplois doivent être créés d’ici 10 ans.

L’Inde est le 11e partenaire commercial du Québec et le 13partenaire du Canada. La diaspora indienne représente 5 % de la population canadienne. Cette dernière est très sensible au contexte politique indien, la plupart entretenant des liens familiaux dans le pays. Il faudra rester à l’affût de l’impact de cette élection en territoire canadien.

Le Canada et le Québec veulent accroître les échanges avec l’Inde, avec raison. Or, il ne faudra pas non plus le faire aveuglément et en omettant de considérer les changements politiques qui font que l’Inde ne porte plus les traits de « la plus grande démocratie du monde ».

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