Chaque jeudi, nous revenons sur un sujet marquant dans le monde, grâce au recul et à l’expertise d’un chercheur du Centre d’études et de recherches internationales, de l’Université de Montréal, ou de la Chaire Raoul-Dandurand, de l’Université du Québec à Montréal.

La Women’s Tennis Association (WTA) tiendra ses trois prochaines finales à Riyad, en Arabie saoudite, à la suite d’un accord avec le fonds souverain saoudien, le Public Investment Fund (PIF). L’annonce a été faite le 4 avril dernier dans la foulée d’un autre partenariat majeur entre ce même fonds et l’Association des professionnels du tennis (ATP), menant, entre autres, à la création du classement mondial PIF ATP.

Il ne se passe presque pas une semaine sans une histoire accrocheuse impliquant le PIF. Au cours des derniers mois, le fonds de 925 milliards de dollars a mené un accord pour révolutionner le monde du golf professionnel, a amené des vedettes du soccer comme Cristiano Ronaldo au royaume et a acquis des participations allant de l’aéroport Heathrow à Nintendo en passant même par Live Nation, entreprise associée au groupe derrière le Canadien de Montréal.

Le style flamboyant du PIF, ses acquisitions d’envergure et son lien avec le gouvernement saoudien soulèvent des inquiétudes quant aux motivations derrière ses activités. L’objectif du PIF est davantage la stabilité politique du royaume qu’un bras de fer géopolitique.

Rapide et dangereux

Qu’est-ce qu’un fonds souverain ? Sans vouloir simplifier ce qui est en réalité un paysage complexe, les fonds souverains sont en quelque sorte semblables à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Ce sont des comptes d’épargne nationaux, créés principalement par des gouvernements riches en revenus pétroliers, afin d’investir prudemment leur excédant sur les marchés internationaux.

Le PIF est néanmoins très différent d’autres fonds souverains. Le fonds déploie près de 80 % de ses actifs à l’intérieur du royaume. Il dirige des projets pharaoniques comme la ville futuriste The Line, à plusieurs centaines de milliards de dollars, tout en étant derrière plus de 60 firmes opérant dans divers secteurs, allant de la production de café aux industries militaires et ayant même sa propre marque de véhicule électrique.

En comparaison, le Government Pension Fund de la Norvège investit 100 % de sa richesse à l’international tandis que Temasek de Singapour ou Qatar Investment Authority n’investissent qu’un quart de leur richesse dans leur pays.

Si le portefeuille de ses investissements diverge, la stratégie du PIF est aussi beaucoup plus agressive que celle de ses pairs. Il est le plus actif au monde, déployant plus de 53 milliards de dollars à l’international depuis 2022, et son approche ressemble davantage à celle d’un fonds spéculatif qu’à celle d’un compte d’épargne.

D’ailleurs, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), dirigeant de facto du royaume, a fait pression pour que le fonds déploie 35 milliards sur les marchés en baisse pendant la pandémie de COVID-19 pour finalement vendre ses parts quelques mois plus tard seulement.

Pour bien comprendre le PIF et l’origine de ses particularités, il est impératif de regarder à l’intérieur du royaume.

Le PIF, l’outil de MBS pour se maintenir au pouvoir

Le PIF reflète non seulement les changements dans la politique économique du royaume, mais aussi la concentration du pouvoir entre les mains de MBS. Fondé en 1971, le PIF a été réorganisé en 2015 sous l’impulsion de MBS, devenant l’outil principal pour réaliser son ambitieux plan Vision 2030 visant à propulser l’Arabie saoudite vers une ère post-pétrolière.

S’il n’occupait aucun poste ministériel important jusqu’à ce que son père Salmane accède au trône en 2015, MBS a depuis été élevé au rang de prince héritier, premier ministre, et a assuré son contrôle sur l’État saoudien par le biais de divers tours de force. Le PIF ne fait pas exception à la règle. MBS contrôle tous les leviers de gouvernance du fonds et détient une emprise considérable sur ses opérations quotidiennes.

En parallèle, le plan Vision 2030 est attribué à la vision individuelle du prince héritier, qui se présente comme l’architecte de la modernisation de l’Arabie saoudite.

Si Vision 2030 est souvent considéré comme le signe d’une nouvelle ère de diversification, d’ouverture et de prospérité, Human Rights Watch rappelle que les réformes sont accompagnées d’une répression accrue de la part du régime de MBS.

L’État saoudien, profondément autoritaire, a traditionnellement utilisé ses vastes ressources pétrolières pour financer un régime redistributif et maintenir la stabilité politique du royaume. Les deux tiers des travailleurs saoudiens sont employés par le gouvernement, l’énergie destinée aux ménages est fortement subventionnée, tandis que les soins de santé et l’éducation sont gratuits.

Avec des prix du pétrole en baisse de 70 % entre 2014 et 2016 et de 87 % entre janvier et avril 2021, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie, l’Arabie saoudite est confrontée à des défis d’ajustement sans précédent, considérant que plus de 80 % des recettes publiques proviennent de l’or noir combiné à l’ampleur de son système redistributif. Selon les statistiques du ministère des Finances, la dette publique a augmenté de 2100 % depuis 2014.

Les enjeux sont assez considérables pour que le régime de MBS fournisse des résultats tangibles et fasse de la transformation du royaume une réussite. La refonte du PIF et sa prodigieuse expansion, tant au royaume qu’à l’international, visent surtout à consolider les processus décisionnels et d’investissement sous un même toit, renforçant la capacité de MBS à diriger le développement économique du royaume.

De ce point de vue, les investissements substantiels du PIF dans le sport servent d’indicateurs tangibles de prestige et de diversification attrayants pour les jeunes Saoudiens, dont environ 49 % ont moins de 25 ans, selon le dernier recensement, tout en fournissant des revenus alternatifs non pétroliers au gouvernement.

Si certains voient le PIF comme un outil faisant progresser les intérêts géopolitiques du gouvernement saoudien, il est important de garder à l’esprit que les activités du fonds s’inscrivent principalement dans le cadre d’un projet à vocation nationale, visant à propulser la transformation économique du royaume et à assurer la performance du régime et, par conséquent, la survie de la monarchie saoudienne.

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue