Nous avons vu passer récemment l’annonce de la réouverture du célèbre restaurant de Colombe St-Pierre, l’une des cheffes les plus influentes du Québec. Elle en a profité pour faire partager les défis et les solutions qu’elle met en place pour assurer la pérennité de son établissement. Ces défis, ce ne sont pas tous les restaurateurs qui pourront les relever.

Seulement en janvier dernier, selon les données de l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ), 68 restaurants ont fermé leurs portes au Québec, en plus des 406 de 2023. De grandes tables comme de petits cafés de quartier. L’incertitude économique actuelle, l’inflation, les relents de la pandémie et les remboursements des prêts sont en partie à blâmer.

Au-delà des impacts sur les emplois et l’économie, ce sont des quartiers qui perdent un noyau, des producteurs agricoles qui perdent des partenaires précieux… et même le Québec qui perd une partie de sa culture, de son identité.

Fermeture de restauration et perte d’identité québécoise ? Oh que oui ! En 1825, le gastronome français Jean Anthelme Brillat-Savarin lançait sa célèbre phrase : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es. » Aujourd’hui, cette phrase demeure des plus pertinentes. On voyage pour découvrir la culture des autres peuples à travers, entre autres, leur alimentation. Et les cultures d’ailleurs viennent à notre rencontre aussi grâce à leurs mets identitaires. Pensons simplement à la multiplication des bars à sushis, des comptoirs à kebabs ou encore de ceux à ramens.

Tourisme gourmand

Chez nous, on fait un pèlerinage à Charlevoix pour goûter les saveurs de la région chez les Faux Bergers, on monte à Ferme-Neuve pour les goûts uniques des Hautes-Laurentides à la Cantine Pollens & Nectars… En vacances, on arrête à la cantine du coin pour découvrir la twist locale de sa poutine. En route vers le chalet, on fait un détour pour aller à la boulangerie du village pour cueillir cette baguette singulière qui rappelle celle d’antan.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les Miels d’Anicet, à Ferme-Neuve

Et de partout on vient ici pour découvrir ce que le Québec a d’unique à offrir grâce au talent des chefs issus de diverses origines qui transforment, apprêtent et transmettent notre culture aux curieux du monde. Plus du tiers des touristes qui fréquentent Montréal se disent « touristes gourmands » ⁠1, donc voyagent pour découvrir l’offre alimentaire d’une région.

La bouffe, tout comme, entre autres, la langue et les arts, fait partie des pans d’une culture à ne pas négliger. Donc, chaque fois qu’un resto ferme, peu importe sa forme, c’est un peu notre identité qui se meurt.

Au-delà de l’impact sur notre identité culturelle, chaque fois qu’un resto ferme, l’impact est immédiat sur tout un tas de producteurs et d’artisans. Car peu importe le talent d’un grand chef ou la créativité d’un proprio de petit bistrot, sans ingrédients de qualité, la restauration distinctive ne serait pas grand-chose. En plus d’être leur matière première, les ingrédients provenant des producteurs de niche sont la plupart du temps la muse des menus pour offrir plus de saisonnalité, plus de fraîcheur, plus de saveur… plus de nous.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le restaurant les Faux Bergers, à Baie-Saint-Paul

Chaque « grande table » s’approvisionne en moyenne chez 38 producteurs de niche⁠1. Une récente étude du collectif La Table ronde indique également que les deux tiers des menus de ses membres sont composés d’ingrédients du Québec comparativement à un tiers dans les assiettes du grand public et que 15 % de leurs cartes des vins est québécoise par rapport à un maigre 0,35 % des vins vendus par la SAQ. Donc, chaque fois qu’on perd un resto, on perd aussi des producteurs dévoués qui disparaissent avec leur savoir-faire incommensurable. Encore une fois, un morceau de notre culture s’envole.

La disparition de producteurs, ça veut aussi dire moins d’occupation de territoire et moins de vitalité en région. Un producteur qui fait faillite ou qui abandonne, c’est plus qu’un ingrédient qu’un chef perd, c’est une source d’inspiration. Un autre pan de culture qui s’envole.

Je vous entends dire « oui, mais c’est tellement rendu cher aller au resto ». Oui, mais aller au cinéma voir une superproduction, assister à un spectacle d’une vedette internationale, s’abonner à Netflix aussi, c’est cher. Tout est une question de choix.

Prenons conscience que tout est connecté, que nos restaurateurs et producteurs contribuent à faire vivre nos régions, notre savoir-faire… et aussi, beaucoup, notre identité.

Santé !

1. Rapport Chefs et restaurateurs indépendants de la gastronomie québécoise – Un levier pour la relance économique de Montréal et du Québec/Étude d’impact et feuille de route pour l’essor du secteur, mai 2021

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