Je suis médecin, neurologue pédiatrique. J’ai choisi mon métier parce que j’aime profondément les humains, et je me sens privilégiée de pouvoir accompagner des familles dans l’adversité, de tisser des liens avec des gens qui survivent à l’impensable. Avoir un enfant malade, un enfant handicapé, perdre un enfant.

Mon hôpital me demande de porter un masque en tout temps, même quand je n’ai aucun symptôme, que je suis vaccinée et qu’il y a un risque infime que j’infecte mes patients.

J’ai décidé de ne pas le faire.

Je suis consciente du regard des autres, et je ne me sens pas à l’aise, mais je le fais quand même. Je le fais pour protéger mes patients et mes confrères de travail.

Oui, pour les protéger.

Les gens qui se présentent à l’hôpital sont vulnérables émotionnellement, ils viennent y recevoir des résultats, des diagnostics, qui vont changer leur vie. Ils ont besoin de compassion et de sécurité.

Un visage, ça vaut mille mots. Avec mon visage, je peux exprimer toutes les nuances de l’empathie et de la présence. Le visage de mes patients m’indique immédiatement ce qu’ils vivent, sans qu’ils aient besoin de parler. J’ai besoin de voir pour soigner, c’est essentiel.

Mes très jeunes patients ont peur de moi quand je porte un masque, je ne peux pas les examiner adéquatement, ce qui nuit à mon diagnostic. C’est aussi plutôt impossible d’évaluer les interactions d’un enfant avec son entourage, quand tout le monde est masqué. Je fais comment pour savoir si l’enfant est autiste ?

Il y a tellement de bruit dans les hôpitaux. Que des patients n’entendent pas les informations essentielles à leur traitement, parce que je parle à travers un masque, c’est dangereux. Surtout pour les patients allophones, avec trouble cognitif ou trouble auditif.

Surtout, ça prend des visages découverts pour se confier.

Détresse, intimidation, abus, idées suicidaires… ce sont des réalités qui sont extrêmement difficiles à confier. Je suis hantée par la peur qu’un jeune patient ou son parent ne se confie pas à moi et qu’il commette l’irréparable.

Je ne veux pas travailler dans un hôpital de zombies, où les patients sont accueillis par des visages masqués. Un sourire peut tout changer, quand on a si peur de ce qui nous attend qu’on a l’impression qu’on va s’effondrer.

Empêcher les travailleurs de la santé de créer des contacts significatifs avec leur clientèle, ça crée de la détresse. Et de la détresse, il y en a déjà trop dans les hôpitaux.

Permettre aux soignants de se parler entre eux sans masque, c’est leur permettre de respirer, rire, pleurer, vivre ensemble. Il y a ceux qui manifestent leur épuisement sur les lignes de piquetage. Il y a aussi ceux qui souffrent en silence. Pour oser se confier aux autres, il faut pouvoir parler sans filtre, dans les corridors, aux postes de travail, partout où la détresse frappe, au moment où elle frappe.

Je fais confiance à mes patients et à mes collègues pour porter un masque en cas de symptômes, ou éviter de venir à l’hôpital. Les gens sont plus que conscientisés.

Les Québécois ont choisi il n’y a pas si longtemps de retourner les enfants à l’école avant tout le monde. Ils ont choisi de protéger l’humain, au risque de voir le nombre d’infections augmenter. Et ça a sauvé beaucoup de monde.

Alors si on permet aux gens de s’assembler par milliers dans le Centre Bell, pourquoi ne pas permettre aux soignants et aux patients de se rencontrer sans masque dans les hôpitaux ? Ils en ont bien besoin.

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