Deux mois de guerre. Plus de dix-sept mille morts du côté palestinien. Mille deux cents du côté israélien. Des otages toujours retenus. Et une population appelée à évacuer vers des zones toujours plus exiguës. « C’est totalement inhumain, ce que vit la population de Gaza », dénonce le chef de mission de Médecins sans frontières, joint à Jérusalem.

Ce qu’il faut savoir

  • La guerre entre Israël et le Hamas est entrée jeudi dans son troisième mois.
  • Les combats ont encore fait rage à l’intérieur et autour des plus grandes villes de la bande de Gaza, dont Khan Younès, plus grande ville du sud du territoire.
  • Un bilan faisait état jeudi de 17 177 morts dans la bande de Gaza, dont 70 % sont des femmes et des enfants, selon le ministère de la Santé du Hamas. Au total, 89 soldats israéliens ont été tués dans les combats, selon l’armée.
  • Des négociations sont en cours pour l’ouverture d’un deuxième point de passage d’aide humanitaire en Israël, à Kerem Shalom, mais une réouverture complète est écartée.

La guerre entre Israël et le Hamas est entrée jeudi dans son troisième mois. Une semaine après une trêve fragile qui a permis à la population de souffler, l’intensité des combats et des frappes dans l’enclave palestinienne a augmenté d’un cran.

Un plus grand nombre de morts que de blessés sont arrivés à l’hôpital Al-Aqsa, situé dans le centre de la bande de Gaza, au cours des dernières 24 heures, affirme Léo Cans, chef de mission de Médecins sans frontières (MSF), en entrevue avec La Presse. « Dans les derniers jours, 750 blessés sont arrivés avec des blessures graves. On a des enfants avec des membres arrachés, par exemple », ajoute-t-il.

Il décrit des médecins obligés d’opérer leurs patients sur le sol. Incapables d’assurer un suivi tant les besoins sont grands. Sans compter toutes les personnes laissées sans soins : les femmes enceintes, les nourrissons, les gens atteints de maladies graves.

PHOTO MAHMUD HAMS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un homme marche parmi des débris après un bombardement à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza.

« Dans le nord de la bande de Gaza, les infrastructures médicales sont détruites, et celles du Sud ne sont pas en mesure de faire face aux besoins de la population », soutient M. Cans. « Les acteurs humanitaires ne peuvent plus répondre à la situation, qui ne cesse de se détériorer tous les jours. »

Violents combats 

Les combats ont encore fait rage jeudi à l’intérieur et autour des plus grandes villes de la bande de Gaza, portant le bilan à 17 177 morts en soirée. Et tôt vendredi, le ministère de la Santé du Hamas a fait état de 40 morts dans des frappes près de la ville de Gaza, et de « dizaines » d’autres à Jabaliya, dans le nord, et Khan Younès, la plus grande ville du sud de Gaza où l’armée israélienne a annoncé jeudi avoir « tué des terroristes du Hamas et frappé des dizaines de cibles terroristes ». Cette ville est devenue l’épicentre de la guerre.

Or, pour la population civile qui avait d’abord été appelée à évacuer le nord de la bande de Gaza pour se réfugier dans le Sud, il n’y a plus d’endroit où aller.

PHOTO FATIMA SHBAIR, ASSOCIATED PRESS

Des Palestiniens inspectent une maison détruite lors d’un bombardement israélien à Rafah

« La réponse crue, c’est que la population [de Gaza] ne peut pas être protégée, ou du moins pas complètement », estime Thomas Juneau, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa.

La stratégie d’Israël est de séparer le territoire en différentes zones, d’envoyer des prospectus et de faire des annonces en ligne pour exhorter la population à fuir les zones de combat. « Mais de penser que les gens peuvent changer rapidement de district dans un contexte aussi instable, violent, sous les bombardements… C’est impossible », soutient M. Juneau.

« C’est ça qui est criminel », renchérit Léo Cans.

L’armée donne des ordres d’évacuation, mais il n’y a nulle part où aller pour ces personnes.

Léo Cans, chef de mission de Médecins sans frontières

« Toutes les maisons sont pleines, décrit-il. De plus en plus de gens dorment dans la rue, dans des tentes. Il n’y a physiquement pas assez de place pour recevoir tout le monde. »

Parmi les blessés et les morts qui déferlent dans les hôpitaux, le nombre de femmes et d’enfants montre qu’Israël frappe la population civile de façon « indiscriminée », dénonce aussi le chef de mission de MSF.

« On a dû réveiller un enfant après une opération et lui expliquer que toute sa famille était morte. Qu’il était orphelin. C’est le genre de choses qu’on doit faire. »

Lueur d’espoir : le chef des opérations humanitaires de l’ONU, Martin Griffiths, a déclaré jeudi voir des « signes prometteurs » de l’ouverture « prochaine » du passage de Kerem Shalom entre Israël et Gaza qui assurerait un second accès à l’aide humanitaire. Mais Israël a ensuite écarté l’idée d’une réouverture complète.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Des otages toujours détenus

Du côté d’Israël, le pays traumatisé depuis l’attaque sanglante du Hamas le 7 octobre s’est préparé jeudi à célébrer Hanouka, la fête juive des Lumières. À Tel-Aviv, des proches d’otages ont organisé dans la soirée une veillée, chantant et portant leurs portraits ainsi que des bougies.

PHOTO CLODAGH KILCOYNE, REUTERS

Rassemblement à Tel-Aviv pour exiger la libération des otages israéliens retenus par le Hamas

Environ 138 otages sont toujours détenus dans la bande de Gaza, sur les quelque 240 enlevés le jour de l’attaque, selon les autorités israéliennes.

À quoi peut-on s’attendre pour la suite de la guerre ? Pour Thomas Juneau, il est certain que les pertes civiles vont continuer à augmenter, que ce soit en raison des bombardements ou des combats, ou en raison de la crise humanitaire. Les pertes, morts et blessés, représentent déjà 2,5 % de la population de Gaza.

Ça va mener à des chiffres apocalyptiques, bien pires que ce qu’on voit en ce moment.

Thomas Juneau, professeur à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa

De plus, il était évident qu’Israël allait élargir son opération terrestre au sud de la bande de Gaza, selon lui.

« On sait qu’il y a beaucoup d’infrastructures du Hamas qui se concentrent là, explique-t-il, donc il n’y avait aucun scénario possible où Israël allait abandonner ses opérations dans le Sud. »

Israël est prêt à mener une attaque de cette intensité pour une durée indéterminée, poursuit le professeur. Et un seul interlocuteur a le pouvoir de l’influencer : Washington. « Avec quelle rapidité la pression américaine sur Israël va augmenter ? Combien de temps ça va continuer ? Est-ce que ça se calcule en semaines ? En mois ? C’est le débat qu’il faut suivre », estime Thomas Juneau.

Avec l’Agence France-Presse

RSF demande l’ouverture aux journalistes du poste-frontière de Rafah

L’ONG Reporters sans frontières (RSF) a appelé jeudi à l’ouverture aux journalistes du poste-frontière de Rafah, entre le sud de la bande de Gaza et l’Égypte. Ce point de passage est contrôlé par les Palestiniens et les Égyptiens. Cependant, souligne le communiqué de RSF, « Israël surveille toutes les activités à la frontière sud et a bombardé à quatre reprises cette porte frontalière au début de la guerre ».