Le patient s’excuse presque d’être venu aux urgences pour un mal de dos.

Mais la douleur est intense. Il a du mal à marcher.

Le DMatthieu Vincent, l’un des trois urgentologues en service à l’hôpital Charles-Le Moyne ce soir, lui a fait passer plusieurs tests. Bonne nouvelle : ils sont tous négatifs. Mauvaise nouvelle : ça continue de faire mal. Il faudra traiter la douleur avec des anti-inflammatoires, puis de la physio. Le DVincent lui suggère de faire le suivi avec son médecin de famille plus tard cette semaine.

« Avec le Guichet d’accès à la première ligne (GAP), vous pouvez revoir un médecin de famille, lui dit le DVincent.

– Ça ne marche pas, le GAP, répond le patient.

– Ouin…

– Si ça ne marche pas à nouveau, je vais être obligé de revenir aux urgences.

– Essayez quand même le GAP en premier. Avez-vous d’autres questions ? Non. Merci pour votre patience, monsieur. »

Durant son quart de huit heures, le DVincent verra une vingtaine de patients. Il traitera des maux de dos intenses, des chutes de tension, une gastro particulièrement virulente, des personnes âgées qui ont fait une vilaine chute, des pieds anormalement enflés, de la toxicomanie, du zona, des difficultés à respirer, et bien d’autres problèmes de santé qui ne peuvent attendre.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Dr Matthieu Vincent

« Le processus de diagnostic est très stimulant. Vous voyez de tout aux urgences », dit le DVincent.

Les patients sont traités selon la gravité de leur cas. Ils sont répertoriés en cinq catégories de priorité. Sur son ordinateur, le DVincent voit l’évolution de tous les cas. Les plus pressants sont au haut de la liste du logiciel MedUrg, qui classe les patients en fonction du niveau de priorité et du temps d’attente.

Les urgences, c’est intense. Les urgentologues sont des pompiers qui éteignent des dizaines de feux en même temps.

J’y ai passé 12 heures sur 2 jours. Je ne me rappelle pas la dernière fois où je suis rentré du boulot aussi fatigué.

« Il y a toujours de l’adrénaline aux urgences, dit le DVincent. On peut améliorer rapidement la condition de nos patients, et être là pour les accompagner pendant un épisode stressant. »

« On va aller voir si tout est sous contrôle au choc », me dit le DMatthieu Vincent.

La salle de choc, c’est la plus stressante des urgences.

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Le Dr Matthieu Vincent se dirige vers la salle de choc, où sont traités les patients les plus mal en point qui arrivent aux urgences.

C’est là qu’on traite les patients les plus mal en point. Il y a sept lits pour les accidents cardio-vasculaires (AVC), les crises cardiaques, les traumas (ex. : accident d’auto), les allergies graves, les hémorragies, les infarctus aigus. L’objectif numéro un : maintenir les patients en vie. Ceux dont l’état ne s’améliore pas rapidement sont transférés aux soins intensifs.

« Au choc, l’adrénaline monte encore plus », dit le DVincent.

Ce soir, l’adrénaline est dans le tapis. Trois patients viennent d’entrer d’un seul coup. Cinq lits ont été occupés pendant plusieurs heures, ce qui est inhabituel. Deux médecins sont responsables du « choc » en alternance. Il y a trois infirmières ici en permanence.

Heureusement, tout est maîtrisé au « choc ». Le DVincent retourne donc à sa tournée du reste des urgences, où il est chargé ce soir-là des patients « en observation » qui y sont alités.

Ce soir, un patient sur cinq vu par le DVincent aurait pu être traité par un médecin de famille si l’accès à la première ligne était plus efficace, estime-t-il diplomatiquement quand je lui pose la question.

Ce n’est pas la faute des patients. Ça ne change rien à la qualité des services qui leur seront donnés. C’est un constat médico-administratif.

Peu importe la gravité de leur cas, le DVincent traite tous les patients avec bienveillance. Aux urgences, les gens sont vulnérables, fragiles. Ils ont besoin de recevoir des conseils médicaux, mais aussi d’être rassurés. Le DVincent le fait avec un mélange de respect, de délicatesse et d’humour.

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Le docteur Matthieu Vincent traverse les urgences de l’hôpital Charles-Le Moyne.

« Vous allez avoir notre service cinq étoiles », dit-il à un patient.

« Je reviens dans deux heures avec les résultats. Mais c’est un deux heures d’hôpital », dit-il à un autre patient.

Ah, le fameux concept élastique du « temps d’hôpital ».

Ce soir, un patient s’est tanné d’attendre.

Quand le DVincent revient avec ses résultats de tests, dans les temps, la salle est vide. Le patient est retourné à la maison. Le DVincent l’appelle. « J’ai vos résultats », dit-il au patient. Tout est correct. Le feu est éteint, et le médecin de famille s’occupera du suivi.

Le DVincent ne voit pas de patients qui ont une toux, un mal de gorge ou une otite. Quand ils se présentent aux urgences, ces patients-là – des P5 dans le jargon – sont réorientés dans une clinique de médecine familiale. À Charles-Le Moyne, ils représentent entre 20 % et 40 % de la clientèle. « Ça diminue le temps d’attente », dit Judy Lachance, assistante infirmière-chef des urgences.

Avoir davantage de personnel réduirait aussi certainement le temps d’attente. Ce soir, les urgences comptent 3 médecins sur 3, 23 infirmières sur 24, 10 préposés aux bénéficiaires sur 12, et 5 adjoints administratifs sur 6. Il manque donc quatre employés. « C’est moins sécuritaire que si on est à effectif complet », dit Mme Lachance.

Les urgences, c’est un travail d’équipe. Il a beau y avoir un médecin, si on n’a pas assez d’infirmières, de préposés et d’adjoints, on est beaucoup moins efficaces comme équipe pour traiter les patients.

Le Dr Matthieu Vincent

Les urgences de Charles-Le Moyne sont parmi les plus grosses urgences du Québec. Parmi les plus efficaces aussi. Au plus récent palmarès de La Presse, Charles-Le Moyne prend le 3e rang sur 15 urgences d’hôpitaux universitaires1. Le temps d’attente moyen aux urgences au Québec en 2023-2024 : 17 heures et 26 minutes, bien loin de la cible officielle de 14 heures fixée par Québec (la cible a été modifiée de 12 heures à 14 heures en 2021).

Avec le vieillissement de la population, le DVincent est conscient de tous les défis qui attendent le système de santé et ses urgences.

« On est loin de la cible [de Québec], mais il y a tellement de choses qu’on a mises en place, dit-il. Sans ça, je ne peux pas imaginer où on en serait. »

1. Consultez notre palmarès des urgences du Québec

19 heures et 43 minutes

Temps d’attente moyen aux urgences de Charles-Le Moyne en 2023-2024. C’est plus long que la moyenne québécoise parce que Charles-Le Moyne traite la clientèle la plus lourde parmi les urgences au Québec. Environ 57 % des patients aux urgences à Charles-Le Moyne sont hospitalisés, comparativement à une moyenne de 34 % des patients pour l’ensemble des urgences du Québec.