Guy Rocher aura 100 ans le 20 avril prochain. À l’approche de cet important anniversaire, j’ai eu le privilège d’échanger avec lui sur plusieurs sujets auxquels il réfléchit depuis des décennies, particulièrement l’éducation et la langue française. Malgré son âge honorable, l’illustre sociologue continue non seulement de scruter les enjeux qui façonnent (et façonneront) le Québec, mais il s’implique encore, n’hésitant pas à écrire, à témoigner et à débattre.

Guy Rocher est professeur émérite de l’Université de Montréal. Il a été un acteur important de changements majeurs au Québec, d’abord comme membre de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, mieux connue sous le nom de commission Parent (1961-1966), puis grâce à son rôle central lors de la rédaction, en 1977, de la politique linguistique du Québec qui deviendra la loi 101, aux côtés de son confrère Fernand Dumont et sous la responsabilité du ministre Camille Laurin.

Guy Rocher le précise d’emblée : malgré l’importance de ces mandats gouvernementaux, ce sont les activités de transmission, d’enseignement et d’écriture qu’il a toujours privilégiées et placées au centre de sa carrière.

La bataille d’une vie

Les positions de Guy Rocher sur la gratuité et l’égalité des chances en éducation, du primaire jusqu’à l’université, sont inébranlables. Il dénonce depuis longtemps ce qu’il est convenu d’appeler l’école à trois vitesses. L’éducation, c’est la bataille de sa vie.

PHOTO PAUL-HENRI TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Rocher, en septembre 1965, au temps de la commission Parent

Si j’avais 40 ans, je travaillerais prioritairement pour revenir à l’égalité des chances dans notre système d’éducation qui est inégalitaire en ce moment. C’est une injustice et je trouve cela intolérable.

Guy Rocher

« Ça serait ma bataille. Il faudrait régler le financement des écoles privées, surtout au niveau secondaire. Il faudrait un système d’éducation public, de la maternelle à l’université », dit-il.

Cette discussion, ajoute-t-il, mériterait d’être au cœur des réflexions gouvernementales actuelles en éducation.

Guy Rocher a aussi participé à la création du réseau des cégeps et de celui de l’Université du Québec, toujours dans le but de démocratiser l’accès à l’éducation et à l’enseignement supérieur. Ces établissements ont permis à plusieurs régions de faire un pas de géant dans le développement scientifique, social, économique et culturel de leur territoire, estime-t-il.

Le sociologue souscrit par ailleurs à l’idée d’une nouvelle « commission Parent » actualisée aux enjeux actuels et futurs : « Une commission donne l’occasion à l’ensemble de la société, à l’ensemble du système scolaire, d’entreprendre une réflexion globale. Il me semble qu’après l’évolution que nous avons connue jusqu’à présent, ce serait le moment de repenser notre système d’éducation. Les aspects du financement, des transitions d’un niveau à l’autre, de la formation des enseignants, de la diplomation, des nouvelles clientèles, tout cela dans une perspective sur plusieurs années. »

PHOTO JEAN GOUPIL, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Rocher, en décembre 1993

À la défense du français

En 1976, Guy Rocher avait accepté de s’absenter de ses fonctions universitaires pour contribuer à la conception et à la rédaction de la politique linguistique du Québec. Près d’un demi-siècle plus tard, en 2018, j’étais présente en commission parlementaire quand il est venu exprimer, sans notes et très clairement, son souhait de voir appliquer la loi 101 au collégial.

Pendant notre entretien, il m’explique davantage sa réflexion : « Le cégep est une institution d’État, comme le réseau primaire et secondaire. La fréquentation y est gratuite. Donc, la loi 101 devrait y être étendue avec le même raisonnement que nous avons appliqué au primaire et au secondaire. C’est la responsabilité de l’État de s’assurer que les établissements d’enseignement qu’il finance correspondent à la politique culturelle et à la politique linguistique du Québec. Je ne suis pas contre l’attrait de l’anglais, mais je ne veux pas que les établissements comme le cégep le favorisent et l’amplifient. »

Pour lui, la loi 101, c’est une manière de dire : « Écoutez, vous apprendrez l’anglais autrement que par la fréquentation des collèges anglais. Il y a l’aspect de la langue, mais aussi de la culture française à laquelle les jeunes Québécois et ceux issus de l’immigration doivent être exposés, à un âge où c’est important pour eux. Ce qui nous manque actuellement, c’est une perspective culturelle de la langue française. »

Le parcours de Guy Rocher est celui d’un universitaire engagé, qui a mis sa carrière en veilleuse à plusieurs reprises pour se consacrer à la réalisation de mandats qu’il jugeait déterminants pour l’avenir du Québec.

Il est très apprécié par un gouvernement – je le sais d’expérience comme ancienne haute fonctionnaire et ex-élue – de pouvoir compter sur la présence d’experts qui acceptent de se détourner pendant un certain temps de leur travail universitaire pour se dévouer à une cause à laquelle ils croient.

« Ce dont je suis le plus satisfait dans ma vie, m’explique-t-il, c’est de ma carrière universitaire. Je ne me sens pas comme si j’avais 100 ans ! Je suis surpris que ça m’arrive. Je n’avais pas prévu ça quand j’étais jeune ! »

Et il conclut : « Mais avoir 100 ans ne m’empêche pas de me préoccuper du présent et de l’avenir du Québec et de la société autour de moi ! »

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Guy Rocher

Affable, serein et très alerte, Guy Rocher nous apprend à bien vieillir et habiter notre vie, par passion et conviction. Il donne aussi l’exemple en acceptant le débat, en y participant, en sachant que ses idées ne font pas nécessairement l’unanimité.

Je ressens beaucoup de gratitude envers lui pour tout ce qu’il a fait pour le Québec d’hier et de demain. Je ne suis pas la seule à vouloir lui exprimer cette reconnaissance. Le 18 avril, l’Université du Québec et la Fédération des cégeps uniront d’ailleurs leurs voix en organisant un évènement pour rendre hommage à cet homme exceptionnel⁠1.

Guy Rocher est un très grand citoyen. Son apport au développement du Québec et des Québécois est considérable. On ne le reconnaîtra jamais assez.

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