Depuis l’adoption du projet de loi 96 en juin 2022, lequel avait pour principal objectif de proposer des mesures « costaudes » pour renverser le « déclin du français », il est fascinant de constater à quel point plusieurs médias, acteurs et observateurs politiques ont été avares de couverture ou simplement muets à propos de plusieurs résultats positifs qui émanent d’enquêtes récentes de l’Office québécois de la langue française (OQLF) sur la présence et l’usage du français au Québec.

Et si l’on en parle, même sommairement, plusieurs faits sont occultés de sorte à nous conforter qu’il est urgent d’agir devant la catastrophe appréhendée.

En mettant principalement l’accent sur la baisse relative du français comme langue maternelle et principale langue d’usage à la maison de même que sur la lenteur avec laquelle la population de langue tierce adopte principalement le français à la maison, l’idée du « déclin » s’est progressivement imposée comme une évidence dans le discours politique et de sens commun de sorte que seules les personnes perçues comme vivant dans le déni de la réalité tentent de la nuancer.

Selon Therrien et Marcoux⁠1, on a ainsi vu le nombre d’articles parus avec l’expression « déclin du français » dans les médias québécois passer de 419 à 2868 entre 2020 et 2022.

Alors que se multiplient les appréhensions de la noyade démographique, du grand remplacement, de la louisianisation, du suicide collectif et de la menace identitaire chez certains analystes, observateurs, acteurs médiatiques et politiques, la population québécoise voit quant à elle ses craintes et ses inquiétudes alimentées et renforcées de sorte à légitimer − « parce que les Québécois sont inquiets » − certaines politiques et mesures radicales du gouvernement actuel qui visent à protéger le français et à renverser son déclin.

Et pendant ce temps

Pendant ce temps, on aura à peine souligné le fait qu’au cours des 15 dernières années, la proportion de Québécois utilisant principalement le français dans l’espace public est demeurée stable à un peu moins de 80 % et qu’au moins 85 % des Québécois utilisent aujourd’hui principalement le français dans les commerces de proximité, les centres commerciaux ou au restaurant.

On gardera sous silence le fait que chez les Québécois de langue anglaise et de langue tierce, l’utilisation du français dans l’espace public a augmenté de 5,6 points et de 3,2 points de pourcentage, respectivement, entre 2016 et 2022, une hausse jugée significative par la firme qui a réalisé l’enquête.

On évitera de le mentionner au profit d’anecdotes ou de certains épiphénomènes, tel le fait d’entendre trop souvent des amis ou des collègues se parler en anglais sur le trottoir au centre-ville de Montréal ou d’entendre un « Bonjour/Hi » en entrant dans un commerce comme preuves indéniables du déclin du français.

On s’explique mal aussi qu’on ait si peu parlé du fait qu’entre 2010 et 2023 l’usage général (au moins 90 % du temps) du français au travail soit demeuré stable, même si des enjeux demeurent au chapitre des besoins de francisation et de valorisation de l’usage du français en milieu de travail. De même, on aura passé sous silence le fait que les travailleurs de langue anglaise et tierce ont augmenté leur utilisation du français dans leurs communications avec leurs collègues ou avec la clientèle.

Les rapports récents de l’OQLF ont également montré que les proportions des élèves de langue anglaise et de langue tierce fréquentant une école primaire et secondaire de langue française continuent d’augmenter.

De même, on n’aura pas rapporté le fait qu’entre 2007 et 2021, la proportion de nouveaux inscrits de langues maternelles anglaise et tierce dans les cégeps de langue française est passée de 5 % à 13 % et de 49,9 % à 65,6 %, respectivement. On préférera braquer les projecteurs sur la croissance de 1961 nouveaux inscrits au secteur collégial de langue anglaise qui ont fait leurs études secondaires en français, alors même que la proportion des nouveaux inscrits au collégial en anglais est demeurée à peu près stable, en particulier depuis une dizaine d’années.

Bien que de telles évolutions masquent un certain nombre de défis et d’enjeux qui appellent assurément à des pistes d’actions et des solutions créatives, il est regrettable de constater à quel point un certain déni semble s’opérer devant plusieurs tendances positives sur la situation du français. On pourra toujours regarder le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, notamment en raison du caractère toujours fragile du français et de la vigilance qu’une telle fragilité impose.

Mais dans le contexte actuel, il me semble qu’il nous faudrait toutefois faire preuve de plus de probité et d’ouverture afin d’admettre que l’on a à ce point noirci le portrait de la situation du français au Québec au cours des dernières années que nous sommes incapables de nous extirper de cette vision catastrophiste que d’aucuns ont contribué à façonner.

Il faut de l’humilité pour reconnaître que ces tendances positives ne résultent aucunement de l’adoption du projet de loi 96, dont nous attendrons sans doute longtemps l’impact réellement positif, ni de mesures coercitives récentes en matière de langue. C’est que la situation du français était déjà et est encore beaucoup plus nuancée que ce que certains se sont évertués à nous faire croire.

1. « L’expression “déclin du français” dans les médias au Québec de 2017 à 2022 », Steven Therrien et Richard Marcoux, dans Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise

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