Le français est-il réellement menacé au Québec ? À ceux qui répondent oui sans hésiter, un collectif d’auteurs québécois rétorque : pas si vite ! Dans un essai de près de 500 pages, sorti le 13 novembre, ils invitent à revoir le concept du déclin de la langue française, qui semble s’être imposé dans les discours au Québec.

Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise est né du besoin d’ouvrir le dialogue sur la situation et l’avenir du français au Québec, précisent les démographes Jean-Pierre Corbeil, Richard Marcoux et Victor Piché, qui ont dirigé cet ouvrage auquel participe une trentaine de chercheurs et d’observateurs de tous les horizons, dont Marc Termotte, Mario Polèse et Stéphanie Arsenault.

« Devant les transformations rapides et profondes que connaît la société québécoise, nous nous devons de recadrer et de nuancer le discours dominant actuel et d’y réfléchir autrement », précisent-ils.

L’un des meilleurs indicateurs pour mesurer la place du français au Québec n’est pas celui, largement utilisé dans les débats, de la langue le plus souvent parlée à la maison, croient-ils, mais bien de l’utilisation du français dans l’espace public. L’objectif principal de la Charte de la langue française, rappelle Jean-Pierre Corbeil, « est de faire du français la langue publique commune ».

Or, la proportion de la population qui déclare être capable de soutenir une conversation en français au Québec n’a cessé de croître depuis 1951. Hormis une légère baisse de 0,8 % de 2016 à 2021, elle se maintient autour de 94 % depuis 30 ans.

Cela dit, la fragilité du français ne fait pas de doute, reconnaît M. Corbeil.

L’augmentation des résidents temporaires, au nombre de 471 000 cette année, et la composition des nouvelles vagues d’immigration, qui comprennent plus de personnes provenant de pays où l’anglais est davantage connu que le français, expliquent la légère diminution de l’utilisation et de la présence du français dans la sphère publique et au travail.

Mais deux indicateurs montrent que le français ne se porte pas si mal, malgré tout. Le premier, c’est la connaissance du français chez les immigrants, qui est passée de 53 % à 81 % en 50 ans. Le second, c’est la proportion de la population immigrante pour qui le français est la première langue officielle parlée : 35 % en 1971, 63 % en 2021.

« Chaque recensement relance les débats linguistiques au Québec, souligne Victor Piché. Chaque fois, on est inondé d’indicateurs trop souvent sortis de leur contexte historique, tant démographique, économique que politique. Il s’agit en fait d’un débat qui ignore les choix fondamentaux de la société québécoise des 50 dernières années. » Le premier de ces choix, souligne-t-il, est celui des familles de faire moins d’enfants, en bas du seuil de renouvellement depuis 1970.

M. Piché ajoute qu’il est nécessaire de redéfinir la francophonie de façon à inclure toutes les personnes qui vivent en français au Québec, peu importe la langue parlée à la maison.

Un livre à lire pour poursuivre la réflexion au-delà des slogans et des idées préconçues.

Extrait

« L’indicateur de la capacité de soutenir une conversation en français fournit non seulement une information utile sur la population susceptible d’utiliser cette langue dans l’espace public, mais il s’avère utile pour estimer la langue vers laquelle on tend à s’orienter davantage ou avec laquelle on est le plus à l’aise pour communiquer, parmi les deux langues officielles du pays, tout particulièrement pour la population de langue tierce. La première langue officielle parlée […] permet, en effet, malgré ses limites, de fournir un indicateur plus inclusif de la propension à utiliser le français ou l’anglais dans l’espace public. »

Qui est Jean-Pierre Corbeil ?

Codirecteur de cet ouvrage avec Richard Marcoux et Victor Piché, Jean-Pierre Corbeil est professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval et chercheur associé à l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone. M. Marcoux est directeur du département de sociologie de l’Université Laval et préside le Comité consultatif sur la statistique linguistique de Statistique Canada. M. Piché est chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales, à l’Université Laval.

Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise

Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise

Del Busso Éditeur

364 pages