Elles et il s’appellent Alexa Bowers, Jeremy Plante, Nahid Nowrozi, Kamila Michelle Contreras Zarate, Magali Shimotakahara, Anna Molins, Andrea Sanchez, Sophia Qiu et Stefaniya Pillcheva. Sous la supervision, l’inspiration et la générosité des professeurs Daniel Rondeau et Ariane Bessette, ces jeunes du collège John Abbott, un cégep de langue anglaise de l’ouest de Montréal, faut-il le rappeler, ont relevé l’immense défi de lire en 8 semaines les 16 romans sélectionnés par l’Académie Goncourt en vue d’une participation au Goncourt des lycéens en France. Sur son site internet, le cégep John Abbott souligne avec fierté le fait que, en réalisant cet exploit, ces neuf élèves ont transcendé les frontières linguistiques et ont démontré leur amour de la langue française.

Le quotidien La Presse ainsi que Radio-Canada nous ont appris récemment que, bien que la plupart vivent leur vie en anglais, il et elles sont parfaitement bilingues ou plurilingues et que la plupart n’ont pas le français comme langue maternelle⁠1. Le succès et l’exploit de ces jeunes du collège John Abbott ont également été rapportés par des agences et des institutions comme Global News, CBC, etc. Mais, sauf erreur, ni le gouvernement Legault ni le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, n’ont souligné cette réalisation remarquable.

Sans doute cantonnés que nous sommes à entretenir le pessimisme et le défaitisme ambiants au regard du « déclin » du français au Québec, à alimenter la polarisation entre francophones et anglophones et à propager l’idée selon laquelle les établissements postsecondaires de langue anglaise ne contribuent ni à sa vitalité ni à son rayonnement, cela nous empêche souvent de reconnaître la contribution à la francophonie de celles et ceux dont le français n’est pas la langue première, et qui de surcroît fréquentent ou ont fréquenté un établissement d’enseignement de langue anglaise.

Il me semble que nos élus ont raté là une occasion unique de souligner cette initiative remarquable des professeurs Rondeau et Bessette et du succès de leurs élèves, et d’encourager d’autres collèges et établissements de langue anglaise à proposer et à lancer des défis du genre à leurs étudiantes et étudiants.

Lorsque, dans son livre intitulé Le vivre-ensemble n’est pas un rince-bouche, la psychologue spécialisée en relations interculturelles Rachida Azdouz souligne que « la vitalité du fait français suppose que l’on passe d’une rhétorique de l’injonction et de l’interdiction à une rhétorique de l’invitation et de la proposition », c’est précisément ce que l’on doit retenir de cet exemple du collègue John Abbott. L’exploit réalisé par les jeunes de cet établissement et leurs professeurs en est un exemple très concret et des plus probants.

Si d’aucuns ne manquent pas de faire remarquer qu’il ne s’agit là que d’un épiphénomène, d’une exception sans conséquence, je ferai remarquer qu’il y a nul doute de nombreux exemples de promotion et de valorisation de la langue française au sein des établissements de langue anglaise dont nous ignorons l’existence et grâce auxquels les jeunes développent une motivation d’apprendre et d’utiliser cette langue. Les dirigeants de ces établissements auraient tout avantage à les mettre en valeur et à contribuer à leur rayonnement.

Dans son plan stratégique 2023-2027, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, souligne que ce plan accorde une place toute particulière à la valorisation et à l’amélioration de la maîtrise de la langue française. Or, il me tarde de voir le ministre de la Langue française et la ministre de l’Enseignement supérieur annoncer publiquement le renforcement d’un dialogue avec les établissements de langue anglaise afin qu’ils mettent en valeur l’existence des initiatives de rayonnement et de valorisation de la langue française qui sont mises de l’avant entre leurs murs. Cela pourrait sans doute contribuer à déboulonner un certain nombre de mythes sur la contribution des jeunes de ces établissements à la francophonie québécoise.

*L’auteur de cette lettre a codirigé avec Richard Marcoux et Victor Piché l’ouvrage collectif Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise, publié récemment chez Del Busso éditeur.

1. Lisez la chronique « Mission accomplie pour John Abbott » de Chantal Guy Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue