Le Québec doit beaucoup à Benoît Pelletier. Longtemps, il aura servi et représenté le Québec. Il l’aura d’ailleurs fait à une période de l’histoire où il n’était guère facile de concilier, d’un côté, une critique lucide des dysfonctionnements du fédéralisme canadien et, de l’autre, son attachement au Canada. Cette quadrature du cercle, il l’aura réussie en gardant en tête un principe cardinal : sa loyauté aux intérêts du Québec.

Benoît Pelletier a incarné l’aspiration d’une vaste majorité de Québécois : celle de vivre dans une véritable fédération, au sein de laquelle non seulement la lettre et l’esprit de la Constitution sont respectés, mais où ces règles peuvent aussi évoluer et s’adapter à la spécificité nationale du Québec.

Un fédéraliste réformateur

Benoît Pelletier s’engage en politique afin de promouvoir cette conception québécoise du fédéralisme, alors que les partisans de l’unité canadienne y sont de plus en plus hostiles. Comment définir la position du Parti libéral du Québec si de nombreux militants libéraux ne veulent plus entendre parler du dossier constitutionnel ?

Après tout, le dernier exercice du genre – le rapport Allaire – avait conduit à une scission au sein du PLQ. Depuis, les résultats extrêmement serrés du référendum du 30 octobre 1995 avaient eu pour effet de figer les positions des uns et des autres entre deux options : le statu quo ou l’indépendance.

C’est dans ce contexte tendu que Benoît Pelletier préside la réflexion au sein du parti. Le rapport qui porte son nom choisit avec prudence les combats à mener.

En privé, son auteur s’est souvent ouvert sur l’ampleur de la tâche consistant à convaincre les militants libéraux de ne pas abandonner le chantier de la réforme du fédéralisme.

Benoît Pelletier se fait aussi élire député de Chapleau. Ayant l’écoute et la confiance du premier ministre Jean Charest, il parvient à mettre en œuvre certains aspects de son rapport. La formation du Conseil de la fédération et la reconnaissance du fédéralisme asymétrique dans une entente sur le financement de la santé sont très certainement les deux réalisations auxquelles son nom est le plus associé.

Toutefois, il ne faudrait surtout pas sous-estimer le rôle et l’influence qu’il a pu exercer, loin des caméras – pendant et après son passage en politique. C’est le cas, entre autres, dans les dossiers de la reconnaissance du Québec comme nation par la Chambre des communes ou du virage entrepris en faveur de la protection du français dans la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles.

Transcender les partis

Plaçant la défense des intérêts du Québec au-dessus des clivages partisans, il a soutenu plusieurs des initiatives constitutionnelles du gouvernement de François Legault. Dans le dossier sur la laïcité, il a notamment appuyé le droit du Québec de recourir à la disposition de dérogation pour affirmer sa spécificité. Son étude sur les rapports entre le fédéralisme et la protection des droits fondamentaux, déposée par le procureur général dans ce dossier, est un immense legs qu’on lira et relira longtemps.

Benoît Pelletier a également défendu l’emploi de la procédure unilatérale de l’article 45 de la Constitution de 1982 afin de modifier expressément le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 pour y inscrire que le Québec forme une nation, dont la langue officielle est le français.

Pour l’avenir, il caressait, comme plusieurs autres (Paul Gérin-Lajoie, Jacques-Yvan Morin, Daniel Turp, etc.), le rêve de doter le Québec de sa propre constitution. Il la souhaitait rassembleuse, neutre et non partisane.

Encore récemment, dans les pages de La Presse, il écrivait que la Constitution du Québec « ne devrait être ni souverainiste ni fédéraliste⁠1 ».

Il rêvait aussi de l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser et d’une « Charte du fédéralisme ». Benoît Pelletier était conscient de l’effet uniformisateur et, du même coup, centralisateur d’un pouvoir judiciaire de plus en plus influent qui, à travers l’interprétation des chartes, multiplie les standards constitutionnels pancanadiens.

En 2021, il écrit : « Le principal défi qui guette l’épanouissement de la diversité fédérale est l’uniformisation par les tribunaux⁠2. » Il insiste alors sur le respect du fédéralisme – et donc sur la marge de manœuvre des provinces – comme principe constitutionnel à part entière dans notre État de droit. À juste titre, il considère que, dans le contexte canadien, « ne pas respecter le fédéralisme affaiblit la primauté du droit elle-même en dévalorisant les normes constitutionnelles⁠2 ».

Intègre et honnête

De l’université à l’Assemblée nationale, Benoît Pelletier s’est toujours démarqué par son intégrité et son honnêteté intellectuelle. Pour plusieurs d’entre nous, il a été un mentor inspirant. Ministre ou collègue, il a, en tout temps, manifesté de l’intérêt pour la relève. Généreux, il répondait invariablement présent.

Homme d’action, intellectuel émérite, Benoît Pelletier est demeuré un être humain sensible et chaleureux, dont l’engagement sincère et constant envers les intérêts supérieurs du Québec a rythmé l’ensemble de son parcours universitaire et politique.

Il nous a quittés sans nous laisser le temps de lui organiser les colloques et les ouvrages d’hommages qu’il méritait. Le 8 décembre dernier, nous avons néanmoins eu la chance, à l’initiative du Centre d’analyse politique – Constitution et fédéralisme à l’UQAM, de dresser un bilan du 20e anniversaire du Conseil de la fédération. Sachant départager la célébration de son bilan, la nécessaire autocritique et la capacité à se projeter vers l’avenir, Benoît Pelletier a alors fait preuve de cette intégrité et cette honnêteté intellectuelle que nous admirions tant chez lui.

Guidé par la défense des intérêts du Québec, passionné, intègre et rigoureux, Benoît Pelletier nous offre le souvenir d’un homme à la fois si brillant et si humble, respecté par l’ensemble de ses pairs. Parmi les constitutionnalistes, il a su s’imposer comme un carrefour et un trait d’union entre plusieurs tendances opposées. Il aura été l’un des rares à articuler une véritable vision du fédéralisme, et à comprendre ce que cela implique dans un pays comme le Canada.

1. Lisez « Constitution du Québec : pour savoir ce que l’on est » 2. Lisez le texte de Benoît Pelletier dans La laïcité : le choix du Québec. Regards pluridisciplinaires sur la Loi sur la laïcité de l’État Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue