Dans le débat public, un certain nombre d’experts et de commentateurs soulignent à l’occasion l’opportunité que constituerait l’adoption par le Québec de sa propre constitution. Déjà on sait que, dans maintes fédérations de par le monde, des États fédérés possèdent une constitution bien à eux. Le contenu de celle-ci varie évidemment d’un État fédéré à un autre, mais l’idée centrale est qu’elle regroupe et énonce les principes qui sont considérés comme essentiels au maintien et à la gouverne des institutions politiques dans la société concernée.

Selon nous, le Québec aurait tout intérêt à se doter d’une telle constitution. Elle pourrait par exemple énoncer les valeurs auxquelles les Québécois et Québécoises sont profondément attachés. Elle pourrait aussi permettre au Québec de se définir – ou, oserions-nous dire, de se redéfinir – dans des termes modernes, contemporains.

Différents préceptes pourraient s’y retrouver, comme l’égalité des sexes et les autres droits et libertés fondamentaux, l’interculturalisme, le développement durable et la protection de l’environnement, le parlementarisme, le droit des Québécois de choisir librement leur avenir, l’intégrité territoriale du Québec, la reconnaissance des Autochtones et de leurs droits de même que la conclusion de partenariats avec ces derniers, la laïcité de l’État, les grands principes concernant les relations internationales, la régionalisation et le rôle des municipalités, l’accueil, l’intégration et la francisation des immigrants, une citoyenneté québécoise (certains diront cependant que cela n’est pas possible), etc.

On y trouverait également les fondements des grandes institutions québécoises, dont les institutions démocratiques, et les prémisses qui consolident et façonnent la relation qu’elles entretiennent entre elles, de même que leur relation avec le citoyen.

Bien entendu, la Constitution québécoise pourrait faire l’objet d’un référendum – question de permettre à la population de lui donner son accord et d’accroître ainsi son autorité dans l’État québécois, surtout face aux tribunaux –, mais une autre option serait qu’elle soit tout simplement approuvée par l’Assemblée nationale à la majorité simple ou qualifiée.

À nos yeux, cette constitution ne comporterait pas une modification à la Loi constitutionnelle de 1867 (Loi de 1867) ni même à une autre loi composant la Constitution du Canada. Il s’agirait plutôt d’un document parallèle à cette dernière.

En d’autres mots, la Constitution du Québec s’inscrirait et évoluerait en marge du cadre constitutionnel canadien. Évidemment, la Constitution du Québec devrait être en tout point conforme à la Constitution du Canada, à tout le moins à cette partie de la Constitution canadienne qui est au-dessus des lois fédérales et provinciales.

L’adoption de la Constitution du Québec passerait essentiellement par l’exercice des pouvoirs législatifs habituels de l’Assemblée nationale. À la limite, elle pourrait également prendre assise dans l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 (Loi de 1982), lequel accorde à la législature de chaque province canadienne – dont le Québec – un pouvoir unilatéral de modification constitutionnelle. C’est précisément cet article qui a permis au Québec d’inscrire dans sa loi 96 des modifications à la Loi de 1867, modifications qui vont dans le sens de la reconnaissance du fait que le français est la seule langue officielle du Québec et la langue commune de la nation québécoise.

La Constitution du Québec pourrait se voir donner une portée quasi constitutionnelle, en ce sens qu’elle aurait primauté sur les autres lois de l’Assemblée nationale. Elle pourrait aussi contenir un pouvoir de dérogation (« clause nonobstant »). Idéalement, elle servirait à l’interprétation des lois et autres règles de droit québécoises.

Les différentes formations politiques du Québec devraient emboîter le pas et se saisir de pareil dossier. Notons cependant qu’une telle consolidation et réaffirmation des valeurs et principes chers aux Québécois ne rendrait pas moins impérative la reconnaissance constitutionnelle de la spécificité et du caractère national du Québec au sein du Canada ni même un réaménagement du fédéralisme canadien allant dans le sens des intérêts, historiques et nouveaux, du Québec. Elle n’entraînerait pas non plus l’adhésion du Québec au rapatriement de la Constitution canadienne et à la Loi de 1982 qui en a découlé.

Par ailleurs, la Constitution du Québec devrait être écrite de façon neutre. Nous entendons par là qu’elle ne devrait être ni souverainiste ni fédéraliste. Certes, certains ne seraient pas sans voir dans cette constitution le premier pas vers l’indépendance du Québec, mais d’autres y verraient au contraire une manifestation tangible de la flexibilité et de l’adaptabilité du fédéralisme canadien. D’ailleurs, disons-le, la Constitution du Québec serait en tout point compatible avec le fédéralisme, dans ce qu’il a d’universel. De fait, rien, dans la formule fédérale, n’empêche l’adoption d’une constitution propre à une entité politique comme le Québec.

Somme toute, l’adoption d’une constitution québécoise serait un geste d’affirmation unilatérale par le Québec. Il n’y aurait nul besoin d’obtenir l’aval du gouvernement canadien ni celui des autres provinces. Cette constitution naîtrait et se développerait sous le signe d’un Québec généreux et accueillant, mais néanmoins désireux de préserver et de faire valoir son identité particulière. Bref, elle constituerait l’acte refondateur du Québec, l’idée étant qu’avant de s’ouvrir à l’autre, il faut savoir ce que l’on est.

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