En Suède, Northvolt n’a pas eu à passer devant un BAPE pour construire sa première usine de batteries lithium-ion, inaugurée en 2021.

L’entreprise a plutôt dû passer son examen environnemental… devant un tribunal. Le Tribunal foncier et environnemental d’Umeå, la région du nord de la Suède où est située l’usine.

« Vous préparez un dossier avec les fonctionnaires. Vous plaidez, la Cour pose des questions, vous challenge, vous renvoie à la maison en disant “OK, je veux voir autre chose”, a expliqué Paolo Cerruti, cofondateur de Northvolt, en rencontre éditoriale à La Presse. Vous revenez en Cour. Et à un moment donné, le juge rend la meilleure décision dans l’intérêt de la société. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Paolo Cerruti est le président de Northvolt Amérique du Nord et cofondateur de la multinationale.

Malgré toute la controverse au Québec sur l’absence de BAPE, on n’a pas eu à tirer les vers du nez à Paolo Cerruti pour qu’il nous explique le processus d’approbation environnementale suédois. Pour son usine suédoise, le fabricant a obtenu son autorisation du tribunal en environ six mois. « La grande différence [avec le Québec], c’est que vous pouvez continuer les travaux pendant les audiences, a dit M. Cerruti. C’est conçu de façon à inciter l’entreprise à être responsable dans ses choix techniques. »

Au Québec, malgré l’ampleur de son projet, l’entreprise n’aura pas à se soumettre à un Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Le gouvernement Legault aurait pu en demander un pour l’ensemble du projet⁠1. Il ne l’a pas fait.

Pourquoi ? Parce que pendant un BAPE, Northvolt doit arrêter tous ses travaux en vertu des lois québécoises sur l’environnement, explique l’entreprise. Et en raison de son échéancier serré de commandes, elle ne peut pas attendre plusieurs mois.

Northvolt s’est engagée par contrat avec son principal client (dont l’identité est confidentielle pour l’instant) pour que les premières batteries soient produites à la mi-2026. C’était une condition essentielle du client, qui achètera 50 % de la production de l’usine québécoise. C’est grâce à ce contrat qu’elle a pu obtenir son financement privé de 4,3 milliards pour bâtir l’usine de 7 milliards (le reste, 2,7 milliards, proviendra d’Ottawa et de Québec).

Actuellement, les batteries lithium-ion dans les autos électriques sont presque toutes fabriquées en Asie.

Il y a une fenêtre commerciale qui va de 2025 à 2027. C’est là que les cartes vont être redistribuées entre les différents acteurs majeurs qui vont s’installer en Amérique du Nord.2

Paolo Cerruti, cofondateur de Northvolt, en rencontre éditoriale à La Presse

Le cabinet du ministre de l’Environnement du Québec, Benoit Charette, nous a confirmé par courriel avoir la même interprétation de la loi : un BAPE sur une étape du projet arrêterait tous les travaux.

Greenpeace et le Centre québécois du droit de l’environnement contestent cette interprétation de la loi. Selon eux, comme Northvolt scinde son projet en 12 étapes pour fins d’approbation environnementale, elle pourrait continuer à construire l’usine même s’il y avait un BAPE pour l’exploitation de l’usine en 2025.

La réglementation québécoise, moins flexible que la réglementation suédoise sur la forme, est-elle mal adaptée à des mégaprojets comme celui-ci qui aideront à réduire les émissions de CO?

« C’est le constat qu’on peut en tirer », a répondu Paolo Cerruti. « Mais ce n’est pas à moi de critiquer ou de définir quelle doit être la réglementation, c’est au gouvernement de le faire. Par contre, je veux un cadre légal clair pour opérer. »

Peut-on avoir une usine prête à produire à la mi-2026, pour répondre à la demande rapide pour les batteries ?

C’est l’une des questions centrales que Northvolt a posées d’emblée à Ottawa et à Québec, avant de considérer son implantation au Québec.

« Nous n’avons jamais demandé de changements de seuils réglementaires, a répété M. Cerruti. On leur a dit [aux gouvernements] : avec notre contrainte de temps, est-ce que la réglementation que vous avez en place fonctionne ? Pour le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, la réponse était oui. On nous a dit : il y a une loi, une réglementation qui permet d’arriver au premier rendez-vous à la mi-2026. »

Et si Québec avait exigé un BAPE et retardé l’échéancier de la mi-2026 ? « Northvolt aurait dit : avec ce client-là, avec ce timing-là, ça ne marche pas », a répondu Paolo Cerruti, qui avait d’autres offres ailleurs en Amérique du Nord. « Les États-Unis affichent la célérité de l’octroi de permis [environnementaux] comme l’un de leurs avantages, a-t-il dit. L’Ontario a déjà un projet de loi spécifiquement pour [l’usine de] Stellantis. »

Depuis des mois, on parle beaucoup du processus d’évaluation environnementale pour l’usine de Northvolt au Québec.

Qu’on me comprenne bien : c’est une question importante.

En niant pendant six mois l’évidence – la réglementation a été aménagée pour que des projets comme ça n’aient pas à passer devant le BAPE –, le gouvernement Legault a miné sa propre crédibilité et a nui à l’acceptabilité sociale du projet.

Mais on ne parle presque pas de la question la plus importante. Sur le fond, l’usine de Northvolt sera-t-elle verte ?

« Notre usine [au Québec] va être la plus verte », a promis M. Cerruti. Entre autres parce que la technologie s’améliore. « On ne va pas faire moins bien qu’en Suède, ça, c’est sûr », dit le cofondateur de Northvolt, qui estime que les normes environnementales du Québec sont « à peu près comparables » avec celles de la Suède sur le fond.

Dans tout ce débat, on a quelque peu tendance à oublier que c’est un projet de décarbonation de l’économie. L’entreprise veut construire la batterie lithium-ion la plus verte au monde. Actuellement, les batteries de Northvolt sont trois fois moins polluantes sur leur cycle de vie que les batteries produites en Asie. En 2030, l’entreprise espère ramener ça à 10 % de cette empreinte. Pour fabriquer des batteries qui décarboneront l’industrie des transports, rappelons-le.

On n’est pas en train de construire un pipeline !

Tout ça n’exempte pas Northvolt d’une évaluation environnementale rigoureuse et transparente (on parle d’une usine de produits chimiques). Une suggestion : l’équivalent d’un BAPE allégé pour l’exploitation de l’usine en 2025, tout en permettant au fabricant de continuer ses travaux pour respecter ses contrats.

Pour l’instant, on ne connaît pas avec précision les impacts écologiques de l’usine de Northvolt sur la Rive-Sud. Pour l’usine en Suède, c’était un document de 100 pages disponible sur l’internet. Ici, comme il n’y a pas de BAPE, l’entreprise n’est pas obligée de rendre publique son étude globale sur l’impact environnemental. Northvolt a promis de rendre cette étude publique graduellement, une fois que chaque morceau sera approuvé par Québec. Ce n’est pas suffisant.

L’entreprise doit la rendre publique au complet, sans attendre. Comme Northvolt l’a déjà fait pour son usine jumelle en Suède, on saura alors si son usine au Québec est au moins aussi verte que celle-ci.

On investira des milliards de fonds publics dans le projet. Tout le monde comprend que Northvolt aura ses 12 autorisations réglementaires de Québec.

Il faut souhaiter que ce projet fonctionne pour le Québec, tant sur le plan environnemental qu’économique. Pour cela, il faudrait une évaluation environnementale rigoureuse et transparente sur le fond, mais flexible sur la forme compte tenu de l’urgence climatique et de l’échéancier serré.

Bref, il nous faudrait le Tribunal foncier et environnemental d’Umeå en Suède.

1. Il y aura un BAPE pour l’usine de recyclage, la quatrième et dernière usine du mégaprojet.

2. Lisez « Méga-usine de Northvolt : la moitié de la production a trouvé preneur » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue