J’ai visité l’organisme Petites-Mains pour la première fois lorsque j’avais la responsabilité ministérielle de la Condition féminine en 2017 et 2018. J’avais alors été marquée par la mission de l’organisme fondé au début des années 1990 par Nahid Aboumansour et sœur Denise Arsenault pour venir en aide aux personnes immigrantes. Aux femmes qui souhaitent s’intégrer, tout particulièrement.

C’est pourquoi j’ai décidé d’y retourner récemment, pour revoir Mme Aboumansour, pour visiter les lieux rénovés et pour rencontrer deux participantes au programme d’insertion professionnelle.

Nahid Aboumansour est un modèle de générosité, d’humanité dans sa gestion et de compassion envers les femmes vulnérables qui veulent s’intégrer à la main-d’œuvre au Québec. Fuyant la guerre, elle est arrivée du Liban en 1989 avec ses trois enfants en bas âge et enceinte du quatrième. Le couple était bien installé dans la société libanaise : Nahid était enseignante en architecture et son mari, chirurgien. Même s’ils gagnaient bien leur vie au Liban, ils ont décidé de tout quitter pour assurer un meilleur avenir à leurs enfants.

Nahid ne parlait pas français à son arrivée. Pendant les deux premières années de sa vie au Québec, elle apprend le français et elle visite bénévolement des familles immigrantes dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal.

C’est à ce moment-là qu’elle constate le grand désir d’autonomie des femmes qu’elle rencontre. Elle réunit certaines d’entre elles et, appuyée par sœur Arsenault, elle lance un projet d’ateliers de formation en couture industrielle. C’est ainsi que Petites-Mains voit le jour. « Ça me choquait, explique Nahid Aboumansour, qu’on ne considère pas ces personnes comme pouvant apporter quelque chose à la société. »

L’entreprise grandit et déménage afin d’accueillir de plus en plus de participantes dans des formations de couture industrielle, mais aussi de bureautique et de restauration. Elle offre aussi en permanence des cours de francisation. Petites-Mains prospère. Depuis 1995, ce qui est devenu un organisme d’insertion sociale a accompagné plus de 30 000 personnes.

Nahid ne fait pas que former les participantes. Ce qu’elle offre dans son organisme est avant tout une expérience humaine. Les femmes sont accueillies avec écoute, générosité et savoir-faire. Au besoin, elles peuvent compter sur l’aide d’intervenantes sociales. Le français est omniprésent dans l’organisme.

Petites-Mains a aussi aménagé un CPE dans ses locaux, offert en priorité aux enfants des mères qui suivent une formation.

Lors de mon passage, j’ai rencontré Abir et Natacha, qui viennent respectivement de Djibouti et d’Haïti. Deux femmes courageuses et exemplaires dans leur volonté d’intégration et de participation citoyenne.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Abir Ali Mansour, originaire de Djibouti et participante aux ateliers de l’organisme Petites-Mains

Abir habite avec ses trois enfants (âgés de 8 à 17 ans) et son mari dans un appartement de deux chambres. Les enfants sont bien intégrés et ont de grandes ambitions scolaires. Son mari travaille en informatique. Elle ne garde pour elle-même que 20 $ par mois de ce qu’elle gagne : tout le reste étant utilisé pour aider sa mère, sa sœur et ses enfants.

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Natacha Paul, originaire d’Haïti et participante aux ateliers de l’organisme Petites-Mains

De son côté, Natacha a elle aussi trois enfants, mais son mari est resté en Haïti. Elle travaille 12 jours sur 14 et elle doit cumuler deux emplois pour boucler son budget. Ses enfants étudient en travail social, en comptabilité et en technique de génie civil. Chez elle aussi, l’éducation est très importante.

Toutes les participantes ont quitté leur pays, souvent en proie à l’instabilité ou à la pauvreté, pour offrir un meilleur avenir à leurs enfants. Elles y réussissent grâce à leur ténacité, mais aussi à l’incomparable générosité et détermination de la cofondatrice de l’organisme.

Féministe et très convaincante, Nahid Aboumansour n’a ménagé aucun effort pour faire connaître son entreprise. Elle travaille étroitement avec Québec Emploi, et le taux de placement des participantes est exceptionnel. Ces femmes arrivent en emploi bien préparées, compétentes, beaucoup plus sûres d’elles et francisées. Nahid contribue à l’intégration de travailleuses fières du trajet qu’elles ont accompli, et prêtes à travailler là où la main-d’œuvre est souvent très difficile à recruter. C’est toute la société québécoise qui en profite.

Quels sont les prochains défis pour Petites-Mains ? Nahid Aboumansour est catégorique : il faut se préoccuper de la précarité des demandeuses d’asile arrivées récemment au Québec, qui possèdent un permis de travail, mais qui n’ont pas encore obtenu leur statut de réfugiée. Leur situation ne leur donne pas accès aux programmes d’insertion qu’offre l’organisme. Nahid veut leur venir en aide en présentant sous peu un nouveau projet au gouvernement fédéral. Elles sont une centaine dans cette situation à avoir été refusées par l’organisme en 2023 parce qu’elles ne répondaient pas aux critères du gouvernement. En 2024, elles seront probablement plus nombreuses. Toutes des femmes désireuses de s’intégrer à la société québécoise.

Nahid Aboumansour a créé une entreprise exemplaire à partir d’une machine à coudre et de beaucoup de compassion. Au-delà des prix et des distinctions qu’elle reçoit, elle mérite nos remerciements pour son travail nécessaire auprès de ceux et celles qui ne demandent qu’à participer au développement du Québec.

Nahid et son équipe ont contribué à humaniser le parcours de milliers de femmes qui ont maintenant un nom, un prénom, une histoire ici au Québec ainsi qu’une volonté incroyable de donner le meilleur d’elles-mêmes à leurs enfants et à leur société d’accueil.

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