Les enseignants sont nombreux à fuir le réseau après y avoir travaillé pendant quelques années. Pourquoi ? Le renouvellement des conventions collectives pourrait-il enfin inverser cette tendance ? Notre chroniqueur en a discuté avec trois jeunes recrues.

« Des fois, je vois des collègues qui comptent les jours avant la retraite. Qui essaient de se rendre à quatre pattes à la ligne d’arrivée. Je me dis que je ne veux pas finir ma carrière comme ça ! »

Marion Miller est enseignante d’arts plastiques au secondaire. À 32 ans, elle terminera bientôt sa cinquième année au sein du réseau de l’éducation. Elle a déjà travaillé dans cinq écoles différentes, passant d’un contrat annuel à un autre.

Je n’ai pas mis de gants blancs : je lui ai demandé si elle pensait poursuivre sa carrière d’enseignante.

« Je me vois capable de rester encore cinq ans, de voir si ça commence à s’améliorer et si j’ai encore espoir qu’on pourra rehausser le niveau de l’école publique », a-t-elle répondu.

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Marion Miller, enseignante d’arts plastiques au secondaire

Le jour où je vais complètement perdre cet espoir-là, je vais partir. Mais pour l’instant, j’ai encore envie de m’impliquer pour que ce soit à la hauteur.

Marion Miller, enseignante en arts plastiques au secondaire

Je suis entré en contact avec Marion Miller et deux autres jeunes enseignants de la région montréalaise par l’entremise de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). L’objectif était de les interroger sur leur état d’esprit, dans la foulée de l’entente signée avec Québec à l’issue d’une grève éprouvante.

Je jugeais leur avis fondamental sachant que les jeunes enseignants sont nombreux à quitter le réseau. On a estimé à environ 25 % le taux de décrochage des recrues au cours de leurs cinq premières années.

Les constats des trois enseignants – qui sont aussi délégués syndicaux dans leurs écoles respectives – sont accablants. Mais ils n’ont pas encore vidé leur « réserve de courage », pour reprendre une expression chère à François Legault.

« Je ne peux pas dire que je n’ai jamais pensé à partir », lance pour sa part Catherine Gingras, enseignante en adaptation scolaire depuis quatre ans, auprès d’enfants de cinquième et de sixième année.

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« Oui, le gain de salaire me rend très heureux. Je vais peut-être gagner 13 000 $ de plus l’année prochaine », ajoute Jean Lavoie. « Mais je ne fais pas ça pour ça », précise-t-il dans la foulée.

Elle se souvient que pendant la grève, elle allait sur LinkedIn tous les jours. « Pour voir ce que je pourrais faire d’autre qui ferait en sorte que je puisse payer mes factures. »

Quant à Jean Lavoie1, il est dans sa cinquième année d’enseignement et il compte la terminer pour « faire mentir les statistiques ». Mais il faisait partie d’un groupe de dix amis qui étudiaient en enseignement à l’université et… ils sont maintenant seulement trois à travailler dans les écoles publiques du Québec.

Au chapitre des sources d’irritation, il évoque entre autres la « surcharge de travail ». Marion Miller, elle, parle du réseau comme d’un « navire qui coule ».

Catherine Gingras illustre tout ça avec des exemples. « Il y a une pénurie d’enseignants, mais il y a aussi une pénurie de services. On se retrouve donc devant des classes où il n’y a pas les services dont on a besoin. Il peut manquer plusieurs orthophonistes, des psychologues, des psychoéducateurs, etc. Donc des élèves qui ont besoin d’être pris en charge ne sont pas pris en charge. Des élèves qui devraient être en adaptation scolaire peuvent être au régulier plus longtemps, et dans une classe régulière, ça devient invivable. »

Ajoutez à ça que dans les écoles publiques, me rappellent-ils avec raison, le taux d’élèves en difficulté est nettement plus élevé qu’au privé.

La question qui tue : les gains faits lors de la plus récente négociation avec Québec pourraient-ils changer la donne ?

Sur le plan de la rémunération, ils sont substantiels. Prenons l’exemple du salaire d’entrée annuel dans la profession. Il était d’environ 46 000 $ en 2021 et Québec avait accepté de le faire grimper à 53 541 $ dès le début de l’année 2022-2023.

Cette fois, au terme de l’entente actuelle, en 2026-2027, il aura bondi à 65 352 $.

« C’est sûr que pour quelqu’un qui veut entrer dans la profession, c’est plus attrayant », dit Catherine Gingras.

« Oui, le gain de salaire me rend très heureux. Je vais peut-être gagner 13 000 $ de plus l’année prochaine », ajoute Jean Lavoie. « Mais je ne fais pas ça pour ça », précise-t-il dans la foulée.

Ils m’expliquent d’ailleurs qu’il leur arrive de payer, de leur propre poche, certaines dépenses pour la classe. Cartables, boîtes à lunch, rapporteurs d’angle, etc. Essentiellement pour se simplifier la vie et éviter la lourdeur bureaucratique du système.

« La semaine dernière, j’ai dû faire un PDF de trois pages pour expliquer une dépense de 30 $ pour mes élèves », explique Marion Miller.

Je les écoute, consterné, mais absolument pas surpris. Je repense à cette directrice d’école, l’an dernier, qui m’avait dit avoir eu à remplir un formulaire de 25 pages pour recevoir une subvention de 5000 $⁠2.

La rigidité est telle dans ce réseau qu’elle en devient étouffante.

À la lourdeur de la bureaucratie s’ajoute celle des classes. Un problème majeur, qui mine le moral de nombreux enseignants.

Des améliorations sont aussi prévues sur ce plan. Au primaire, si on constate que 60 % des élèves d’une classe ont un plan d’intervention (parce qu’ils ont des difficultés) ou des besoins particuliers en français, il y aura automatiquement ouverture d’une nouvelle classe s’il est possible de trouver un enseignant légalement qualifié et un local. Sinon, on offrira des services professionnels et une compensation financière.

Au secondaire, si on atteint 50 % d’élèves avec de tels besoins dans une classe, des services supplémentaires vont être accordés, notamment par des techniciens en éducation spécialisée.

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Catherine Gingras, enseignante en adaptation scolaire

C’est le début de quelque chose. On s’est battus pour ça. C’est une première ébauche de ce mécanisme et on va voir si ça va finir par produire des ressources pour vrai.

Catherine Gingras, enseignante en adaptation scolaire

Les trois jeunes enseignants soulignent tous que le résultat de ce changement va entre autres dépendre de la bonne foi de ceux qui doivent l’appliquer.

« Des directions ont déjà demandé à leurs enseignants de s’assurer que les plans d’intervention sont vraiment pertinents », prévient Jean Lavoie. Elles pourraient être tentées d’en limiter le nombre dans leurs écoles, signale Marion Miller.

Je sais que ça peut sembler paradoxal, mais ces trois enseignants m’ont paru à la fois amers et optimistes quant au résultat global obtenu à la suite de leur bras de fer avec Québec.

« Mon niveau de satisfaction ? Je dirais que je suis 50-50 satisfait-déçu », résume Jean Lavoie, alors que Catherine Gingras parle d’un « pas dans la bonne direction, mais qui ne réglera pas tous les maux de l’éducation ».

« On a évité les reculs, on a eu des petites choses, mais ce n’est pas du tout à la hauteur du combat qu’on a mené », affirme pour sa part Marion Miller. Elle pense qu’après la lutte menée par les enseignants, la balle est maintenant dans le camp des parents.

« Ça va être aux parents et aux citoyens de continuer, dit-elle. À toute la société québécoise de demander que nos écoles soient meilleures. […] On est capables d’avoir le meilleur système d’éducation publique en Amérique du Nord. C’est des choix politiques de ne pas l’avoir. »

1. Il s’agit d’un nom fictif, car cet enseignant craignait que cette entrevue puisse le mettre dans l’embarras en raison de son devoir de loyauté.

2. Lisez la chronique « Pénurie dans les directions d’établissements scolaires : ça va prendre plus qu’une bonne pub… » Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue