Quand des directions de cégep acceptent de parler publiquement du mauvais état de leurs infrastructures, comme on le voit depuis la publication récente d’un reportage dans Le Devoir1, c’est que les choses ne vont pas bien.

Car en temps normal, les gestionnaires préfèrent défendre les intérêts de leur établissement dans les cadres prévus, en privé, sans faire de vagues. Sauf que les informations contenues dans le dernier budget du Québec ont de quoi les inquiéter.

En trois ans, le déficit d’entretien des cégeps a plus que doublé, passant de 326 millions en 2021-2022 à plus de 700 millions en 2024-2025. Et la mauvaise nouvelle est que le déficit record de 11 milliards laisse présager des mesures d’austérité, alors même que la population des cégeps augmente et que les besoins sont criants.

J’ai décidé de faire le tour des cégeps du Québec, pour tâter le pouls des professeurs. Leurs réponses, données sous le couvert de l’anonymat de crainte d’être accusés de manque de loyauté, m’ont parfois rassuré, souvent inquiété.

Au cégep de Rimouski, où le déficit d’entretien s’élève à 51 millions, une professeureme parle des « lézardes inquiétantes » qu’elle voit sur les murs de l’ancien séminaire, dont la peinture « écaille et se boursoufle » et où la chaleur, de mai à septembre, est « suffocante » : « Je me souviens de mes élèves qui, quand je donnais des cours d’été, apportaient leur propre ventilateur sur pied dans la classe. Plusieurs collègues font désormais la même chose », écrit-elle.

Même son de cloche au collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse, où « on souffre pas mal dans les classes qui ne sont pas climatisées », m’écrit une autre professeure. « Certains locaux sont de véritables fours en septembre (j’ai failli m’évanouir une année en donnant un cours !). » Là-bas, le collège déborde et de nombreux cours se donnent maintenant dans des modules préfabriqués.

Au collège de Bois-de-Boulogne, à Montréal, le pavillon Ignace-Bourget est en si piètre état qu’il faut le rénover de fond en comble. Un professeur dresse la liste : « problèmes de plomb dans l’eau, d’amiante, de refoulement d’égouts, de vermine ». Pour pallier le manque d’espace, la direction a proposé aux professeurs touchés d’adopter l’enseignement hybride – moitié en classe, moitié en ligne. Le syndicat s’inquiète qu’une telle solution nuise aux conditions d’apprentissage de jeunes déjà marqués par les années de pandémie.

Au cégep de Saint-Laurent, la situation est catastrophique. À la suite d’une inspection, un pavillon a dû être fermé d’urgence, en raison des risques d’écroulement.

Jennifer Beaudry, présidente du syndicat, me confirme que « c’est toute la communauté qui est touchée, et dont le quotidien est bouleversé. La francisation sera délocalisée, le pont entre les apprenants et leur communauté d’accueil sera coupé ». Avec cette fermeture, « on a perdu notre artère principale qui abritait la plupart des locaux dévolus aux activités étudiantes. Les espaces de bureaux s’amenuisent, les contacts humains aussi ».

Et un autre pavillon pourrait bientôt devoir être condamné. Ce qui pose déjà des problèmes très concrets, comme le manque de toilettes (« À la pause, les files pour aller aux toilettes s’allongent », affirme une professeure).

Pour pallier la pénurie d’espace, la direction prévoit offrir dès l’automne prochain des cours le soir. « Visiblement, il y a eu de la négligence pour qu’on se réveille comme ça et qu’on doive barrer un pavillon, peut-être deux, affirme un autre professeur. Ce qui est désolant, c’est que ce sont les profs et les étudiants qui vont payer. »

Mesures temporaires… devenues permanentes

Une des inquiétudes exprimées par de nombreux professeurs, c’est de voir les solutions temporaires devenir permanentes.

Au cégep de l’Outaouais, sur le campus de Hull, « on enseigne encore parfois dans du préfabriqué qui devait être provisoire il y a 15 ans », m’écrit un professeur. « Tsé le provisoire qui dure », ajoute-t-il, un brin cynique.

« On gèle l’hiver, on crève l’été. La direction a rénové ses locaux, mais pas nos bureaux. L’air y est vicié. Mais le problème principal est la luminosité. Quand on a une fenêtre dans une classe, il serait plus juste de parler d’une barbacane [une fente]. Sinon, le campus de Gatineau est beaucoup plus récent et donc beaucoup plus lumineux, moins sordide et plus propre. Comme par hasard, les étudiants y sont meilleurs. »

À défaut de pouvoir agrandir, certains cégeps optent pour la location d’espaces. C’est le cas du collège Montmorency à Laval, conçu à l’origine pour accueillir 3000 étudiants et qui en compte actuellement 8000. Le cégep doit louer trois étages d’un bâtiment commercial situé près de la station de métro. « Ça a l’air de n’importe quoi sauf d’une institution d’enseignement », me confie un professeur, qui déplore aussi « des classes sans fenêtres et des fuites d’eau » dans le bâtiment principal.

Il y a aussi de bonnes nouvelles. Au cégep de Drummondville, par exemple, on se réjouit de la construction d’un tout nouveau pavillon. Malgré certains désagréments, plusieurs professeurs – à Sherbrooke, Trois-Rivières, Sainte-Foy, Maisonneuve, Ahuntsic – me disent que la situation est acceptable. Bref, tout ne va pas mal, et les chantiers en cours ou à venir indiquent que les autorités ont conscience des problèmes.

Mais risque-t-on, au nom de l’atteinte du déficit zéro, de céder à la tentation de remettre des investissements à plus tard ?

Une chose est sûre : avec le recul, on peut dire que la décision de renoncer à l’agrandissement du collège Dawson était la bonne. Car actuellement l’urgence se trouve du côté du réseau francophone, qui a manifestement souffert de négligence (le constat est éloquent : dans le palmarès des 20 pires déficits d’entretien, on ne trouve qu’un seul établissement anglophone, le collège Champlain, au 19rang).

Quant à moi, j’ai une pensée pour ma fille aînée, qui a étudié dans une école secondaire publique de Montréal où on voit et entend parfois courir des souris, dont la cafétéria se trouve dans la semi-pénombre (faute de néons) et où il faut éviter d’ouvrir certaines fenêtres de peur de ne pouvoir les refermer. Je pense à elle, qui fréquente maintenant un cégep public dont un pavillon vient d’être condamné, peut-être bientôt un deuxième, et j’ai les bleus.

Ce n’est pas de la fierté que je ressens, celle-là même que revendiquait François Legault il n’y a pas si longtemps, mais de la honte.

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