Mon postulat est le suivant : croire que les devoirs et leçons sont une panacée pour consolider des apprentissages enseignés en classe comme le laissaient entendre certains chercheurs est une prémisse qui ne passe pas le test de la réalité. Cette vision erronée est très fortement liée au concept de méritocratie scolaire⁠1.

Ce mythe largement ancré dans l’esprit populaire voulant que les devoirs et leçons soient un gage de réussite ne tient pas compte de la réalité des familles occidentales d’aujourd’hui où le temps de qualité au quotidien entre parents et enfants se fait rare.

Après la journée d’école, les élèves tout comme leurs parents aspirent essentiellement, et pour cause, à se divertir. Cela dit, une nuance s’impose. La vaste majorité des études, dont une méta-analyse de John Hattie (Néo-Zélandais très connu dans le milieu éducationnel), tend à montrer que le temps consacré aux devoirs influence positivement les résultats scolaires au secondaire. Cela s’explique notamment en raison des matières qui nécessitent des études faisant appel à la mémoire de l’élève qui s’imposent d’elles-mêmes.

En revanche, c’est une tout autre histoire au primaire. Il va sans dire que les cinq heures vécues en classe, sans oublier les heures passées au service de garde chez un très grand nombre d’enfants, rendent le travail scolaire à la maison à la fois rebutant et contre-productif pour les élèves éprouvant des difficultés et inutile pour les élèves ayant de la facilité.

Qui plus est, faire reposer la consolidation des apprentissages entre les mains de parents, c’est oublier qu’un trop grand nombre encore aujourd’hui ne considèrent pas l’école comme une véritable priorité. Croire le contraire face à cette réalité est une vue de l’esprit.

Déjà que le système scolaire québécois est le plus inégalitaire au pays, le travail scolaire après les heures de classe vient non pas consolider les apprentissages des élèves, mais plutôt creuser l’écart entre les plus forts et les plus faibles. Chez la plupart de ces derniers, le simple mot « devoirs » provoque une réaction épidermique. Ainsi, pour favoriser la réussite du plus grand nombre, le nerf de la guerre est ailleurs.

Privilégier le temps libre et la lecture

Prenons l’exemple de la Finlande, où l’écart scolaire entre les élèves est le plus mince au monde, ainsi que l’Estonie, qui figure au sommet des pays occidentaux aux tests PISA (Programme international pour le suivi des acquis) en 2023. Qu’ont-ils en commun ? Dans les deux cas, la place accordée au jeu et à la détente est centrale, car le temps libre est une valeur sacrée. En 1969, seulement 10 % des élèves finlandais terminaient l’école avec un diplôme. Dès l’année suivante, le pays était engagé dans une vaste réforme scolaire qui demandait aux élèves de passer moins de temps à l’école et en leur donnant moins d’examens et de devoirs. On connaît la suite.

D’ailleurs, cette croyance voulant qu’il y ait une corrélation entre les heures passées en classe et la réussite du plus grand nombre est purement fantaisiste.

L’absence de devoirs, l’accent mis sur le développement personnel et le jeu dans ces pays, voilà des facteurs qui améliorent la santé mentale des élèves finlandais et estoniens, leur permettant ainsi de mieux performer dans leur parcours scolaire.

Or, sans aucun hasard, pour la sixième année consécutive, les Finlandais sont considérés comme le peuple le plus heureux au monde selon les Nations unies.

Au Québec, nos élèves, tant au primaire qu’au secondaire, passent 900 heures par année sur les bancs d’école. En Finlande et en Estonie, ils y passent respectivement 650 et 660 heures, soit l’équivalent de 50 journées de moins si on insère dans l’équation qu’il y a 5 heures de classe par jour au Québec. Alors, de grâce, n’en rajoutons plus ! Imposer du temps scolaire à nos élèves en dehors des heures de classe n’est pas un facteur favorisant leur réussite.

Il serait grand temps que notre système éducatif, dont la marque de commerce est la compétition en raison des bulletins chiffrés et la moyenne de groupe, valorise une vie équilibrée où les soirées riment davantage avec les jeux extérieurs, les jeux libres et la lecture d’une histoire à son enfant en bas âge pour développer le goût de la lecture et pour le voir quelques années plus tard aimer prendre un livre avant l’heure du coucher. Heureusement, de nombreux enseignants et enseignantes misent déjà sur de telles activités afin que notre jeunesse puisse jouir à la fois d’une bonne santé physique et mentale. Leur leitmotiv étant de développer la personne d’abord et ensuite l’élève. Et si, comme société, c’était ça, notre devoir ?

1. Lisez « La méritocratie scolaire – Un modèle de justice à l’épreuve du marché » Lisez « Les devoirs : inutiles ou indispensables ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue