Le Tableau de bord de l’éducation défendu par le ministre Drainville suscite des réactions mitigées. Il faut savoir qu’au ministère de l’Éducation et dans les facultés d’éducation, le réflexe de la mesure rigoureuse et du suivi de la qualité est faible.

Au début des années 1990, le baccalauréat en éducation passe de trois à quatre ans. Cela est motivé par le désir de rehausser les compétences du personnel enseignant. Trente ans plus tard, nous n’avons aucune évaluation rigoureuse de ce changement. Ni les facultés ni le ministère de l’Éducation n’ont senti le besoin de vérifier si cette réforme avait entraîné une augmentation des compétences du personnel enseignant. Les discours vantant aujourd’hui les mérites de la formation universitaire allongée reposent sur le vide.

En 2019, une étude québécoise⁠1, s’appuyant sur près de 1000 enseignants du primaire-secondaire, observe que les facultés d’éducation sont la première source identifiée de l’apprentissage des mythes pédagogiques (des croyances en des approches pédagogiques invalidées ou infondées).

Par exemple, les données montrent que 97,6 % du personnel enseignant affirme utiliser parfois ou souvent les « styles d’apprentissage », en dépit du fait que cette approche est un mythe avéré. La formation universitaire du personnel enseignant n’a donc nullement empêché que ce mythe s’installe dans leur esprit. Est-ce que le ministère et les facultés d’éducation ont mis en branle une opération afin de contrer les croyances erronées en pédagogie ? Non.

L’influence du socioconstructivisme

Depuis sa naissance en 1964, le ministère de l’Éducation du Québec a réalisé de nombreuses réformes. Entre 1964 et aujourd’hui, on peut estimer qu’au moins 90 % de ces réformes reposent sur le socioconstructivisme (qui inclut le constructivisme). Depuis 40 ans, ce courant guerrier idéologique est hégémonique dans les facultés d’éducation. Pour les socioconstructivistes, la méthodologie scientifique, les mesures rigoureuses comparatives, les données probantes ainsi que la recherche de l’objectivité ne sont que de vaines préoccupations puisque tout serait hautement relatif, contextuel et dépendant des biais culturels des observateurs. Est-ce que l’incurie en éducation est due, entre autres, à l’influence du socioconstructivisme ? Très probable.

Les réformes du ministère de l’Éducation ne se sont jamais basées sur les données probantes, mis à part le nouveau programme au préscolaire (actuellement boycotté dans certains centres de services scolaires) et, peut-être, quelques brides de politiques.

Plus aberrant : aucune réforme n’a jamais donné lieu, de la part du ministère et des facultés, à une évaluation planifiée, objective, rigoureuse, systématique des effets attendus sur les élèves (ex. : rendement, aspects socio-émotifs, etc.) ayant pourtant motivé, au premier chef, leur implantation⁠2. Tenter d’améliorer le système scolaire, c’est bien, mais le faire sans en mesurer avec rigueur les effets est inconséquent et irrationnel.

Les données incomplètes sur l’abandon des étudiantes et étudiants en cours de formation en enseignement ainsi que celles concernant la désertion professionnelle dans les cinq premières années sur le marché du travail, qui friseraient parfois dans les deux cas près de 50 %, auraient dû alerter les facultés et le ministère afin de pallier ce désastre sociétal et personnel depuis 20 ans. Plan d’action partagé entre universités et ministère ? Non.

« Qui assurera la qualité de la formation en enseignement pour protéger les élèves ? » demandent anxieusement dans Le Devoir⁠1 les professeurs Stéphane Allaire et Mylène Leroux et leurs signataires, tous acteurs des facultés universitaires. Mais la question ne devrait-elle pas être plutôt : « Où étions-nous depuis 30 ans face à la faiblesse de la formation à l’enseignement comme l’indique l’abandon en cours de formation, la désertion professionnelle dans les cinq premières années, l’enseignement de mythes pédagogiques et l’hégémonie agressive du socioconstructivisme ? »

Est-ce qu’un ordre de la profession enseignante apportera une solution à cette indolence en éducation ? Il ne le fait pas en Ontario, et il le ferait au Québec ?

Est-ce que le Tableau de bord de l’éducation redressera la situation ? Peu probable. La faiblesse de la formation universitaire tout comme l’orientation unidirectionnelle socioconstructiviste empêchent l’adoption d’une rigueur minimale dans les pratiques. Tous les intervenants du système sont affectés. Par exemple, la majorité des directions d’école sont incapables de répondre à des questions de base concernant leur propre école, comme « Quel pourcentage d’enfants en difficulté votre service orthopédagogique a-t-il récupéré l’année dernière ? » ou « Quel pourcentage d’enfants en 1re année ont franchi le seuil de la non-régression en lecture ? »

Il y a une règle simple en gestion : on ne peut agir que sur ce que l’on voit, sur ce que l’on peut définir et sur ce que l’on peut mesurer. Est-ce que la formation à la direction développe cette habileté de base ? Pas de traces.

Les facultés d’éducation vont-elles changer ? Peu probable. Une solution ? La création d’Instituts nationaux de formation en éducation, indépendants des universités et basés sur la recherche scientifique, et là, peut-être que le Tableau de bord de l’éducation pourrait devenir fonctionnel.

1. Consultez le résumé de « Neuromyths and Their Origin Among Teachers in Quebec » (en anglais) 2. Lisez « Comment exercer une gestion rationnelle axée sur les résultats ? » 3. Lisez « Qui assurera la qualité de la formation en enseignement pour protéger les élèves ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue