Aux prises avec un déficit énorme, le gouvernement Legault a prévenu que les ministères devront se serrer la ceinture. Mais jusqu’à maintenant, il a fait chou blanc avec ses promesses de réduction de la fonction publique.

(Québec) Dès sa fondation et son mariage avec l’Action démocratique du Québec, le parti de François Legault a fait du dégraissage de l’État l’un de ses mantras. Or, la fonction publique a grossi sous la gouverne de la Coalition avenir Québec (CAQ).

Pas moins de 10 000 fonctionnaires en équivalent temps complet (ETC) se sont ajoutés aux effectifs des ministères et des organismes depuis son arrivée au pouvoir en 2018. C’est un bond de 14,4 %.

Par fonctionnaires, on entend le personnel assujetti à la Loi sur la fonction publique. Cela exclut les employés des réseaux de la santé et de l’éducation, par exemple.

François Legault avait promis tout le contraire. Lors de sa première élection comme chef caquiste en 2012, il promettait de supprimer 7000 postes. Comment ? Par attrition, donc à la faveur de départs à la retraite, et grâce à un programme de départs volontaires.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre du Québec, François Legault

Au scrutin de 2014, François Legault allait encore plus loin : il s’engageait à sabrer 20 000 postes. Quatre ans plus tard, lors de sa campagne victorieuse, il s’en prenait encore à la « grosse bureaucratie », mais il mettait « de l’eau dans son vin ». Il s’engageait à réduire de 5000 le nombre de postes administratifs dans les ministères.

« Ce sont des gens qui écrivent des rapports à d’autres gens qui écrivent des rapports, qui finalement, mettent en application les budgets étiquetés de façon détaillée par les ministres à Québec », plaidait-il. Les départs à la retraite des baby-boomers représentaient pour lui une « occasion à saisir » pour éliminer des postes.

C’est une promesse rompue de son premier mandat : 4000 fonctionnaires en ETC se sont ajoutés en quatre ans.

La tendance à la hausse se poursuit depuis le début du deuxième mandat. Les effectifs de la fonction publique ont gonflé de 7,6 % en deux ans, selon la Stratégie de gestion des dépenses 2024-2025 du Conseil du trésor.

Résultat : il y a 78 456 employés en ETC dans la fonction publique cette année, comparativement à 68 618 en 2018-2019.

Pourquoi ? Pour expliquer l’augmentation notable de la dernière année (5,4 %), le Conseil du trésor invoque « l’augmentation des demandes d’aide financière de derniers recours concernant particulièrement les demandeurs d’asile et les ressortissants ukrainiens ». Il observe une « croissance importante de la demande en francisation ». La hausse s’explique également par « la mise en œuvre de la transformation numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec » – le fameux programme SAAQclic dont le lancement a été un fiasco.

Pour la prochaine année, Québec prévoit d’ajouter environ 900 fonctionnaires. Le Conseil du trésor croit que cette croissance profitera entre autres au ministère de la Langue française et à celui de la Cybersécurité et du Numérique. Ce sont deux ministères créés par la CAQ, un facteur ayant contribué à la hausse des effectifs.

Des coupes dans la « partie administrative »

Tous les chiffres présentés ci-dessus ne concernent pas les employés « hors fonction publique », comme ceux des réseaux de la santé et de l’éducation. Il y a 493 424 travailleurs (ETC) en dehors de la fonction publique. Il y en avait 430 456 lors de l’arrivée au pouvoir de la CAQ en 2018. C’est une hausse de 15 %.

Cette augmentation est nécessaire pour « bonifier les services directs à la population » comme en santé et en éducation, soutient le Conseil du trésor. La tendance à la hausse va se poursuivre avec l’ajout de 4000 aides à la classe dans les écoles primaires ou encore le recrutement d’infirmières travaillant dans des agences privées dans les prochains mois.

Au total, si l’on additionne les travailleurs faisant partie de la fonction publique, ceux des réseaux et de tous les organismes, le personnel de l’Assemblée nationale comme celui des officiers nommés par celle-ci, on arrive à un total de 595 274 employés de l’État en ETC.

Est-ce trop ? Faudra-t-il supprimer des postes ? a-t-on demandé à François Legault au lendemain du dépôt du budget déficitaire de 11 milliards de dollars.

« Il faut distinguer ceux qui donnent des services de ceux qui ne donnent pas de services. Dans ceux qui donnent des services, bien, vous le savez, depuis la pandémie, on a ajouté beaucoup de personnel, entre autres des infirmières. Dans le dernier budget, on a ajouté aussi des enseignants, des aides à la classe dans le réseau de l’éducation. Donc, cette partie-là, il n’est pas question de la réduire. Maintenant, pour ce qui est de la partie administrative, il y a des endroits où on peut faire des gains », a répondu le premier ministre.

Faire des « gains dans la partie administrative », sans toucher aux employés qui « donnent des services », c’était la promesse de la CAQ depuis le début. Avec le résultat que l’on a vu. Comme quoi l’opération n’est pas simple…

Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) dénonce d’ailleurs la distinction que fait François Legault. Les fonctionnaires donnent des services à la population, insiste-t-il. Réduire leur nombre, c’est réduire les services, selon lui. « Où veut-il couper ? », demande son président Christian Daigle. À l’aide sociale ? À la SAAQ ? À l’environnement ? Dans les palais de justice ?

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Le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire

Le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire, a signalé récemment que le recours à l’intelligence artificielle permettra de supprimer des postes de fonctionnaires dans les ministères, par attrition. Il lance en ce moment des projets d’intégration de l’IA jugés « à faible risque » et visant à automatiser des tâches administratives répétitives, comme le traitement de formulaires d’assurance des employés de l’État.

Leçons du passé

Le gouvernement Legault l’a annoncé avec son sixième budget : les ministères devront se serrer la ceinture pour retrouver l’équilibre budgétaire d’ici 2029-2030, deux ans plus tard que prévu. Il n’est pas le premier à réviser ses dépenses budgétaires, dont celles associées à la fonction publique, pour atteindre le déficit zéro.

En 2014, le gouvernement Couillard avait annoncé un gel d’embauche et une réduction de 2 % des effectifs de la fonction publique. Résultat : il y a eu baisse d’environ 3000 employés ETC au terme de la première moitié de son mandat. Mais les effectifs ont augmenté par la suite, une fois l’équilibre budgétaire retrouvé.

Peu de temps après son arrivée au pouvoir en 2003, le gouvernement Charest avait décidé de remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. En 2010, le Conseil du trésor concluait que « les résultats récents démontrent qu’il devient de plus en plus difficile d’appliquer le plan de réduction de l’effectif et que l’approche appliquée depuis six ans a atteint ses limites ». Et « les économies découlant de la réduction de l’effectif peuvent, dans certains cas, être réduites, voire plus que compensées par l’octroi de contrats professionnels plus coûteux donnés à l’externe ».

Le recours à des firmes externes a d’ailleurs augmenté, ont dénoncé à maintes reprises les syndicats. La perte d’expertise interne a fait mal au ministère des Transports, un enjeu toujours présent et touchant aussi le secteur de l’informatique au gouvernement.

Si le gouvernement Legault a accepté de verser des hausses salariales de 17,4 % en cinq ans aux membres du Front commun syndical, de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) et de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), c’est entre autres pour retenir et attirer de la main-d’œuvre en cette période de pénurie dans plusieurs secteurs. Mais il n’y a toujours pas entente avec les 30 000 membres du SFPQ et les 30 000 autres du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ).

En savoir plus
  • 60 %
    Proportion de femmes dans l’effectif régulier de la fonction publique en mars 2022
    Source : conseil du trésor
    13,5 %
    Proportion de membres de minorités visibles dans la fonction publique au 31 mars 2023
    Source : conseil du trésor
  • 46 ans 
    Âge moyen de l’effectif régulier de la fonction publique en mars 2022
    Source : conseil du trésor
    4489
    Nombre d’emplois du secteur public qui ont été déplacés en région depuis 2018 selon le gouvernement. La promesse de la CAQ est d’arriver à 5000 d’ici 2028.
    Source : conseil du trésor