La récente attaque iranienne contre Israël, en réaction à la destruction de son consulat à Damas, en a surpris plusieurs, y compris sans doute les Israéliens eux-mêmes. On aurait pu s’attendre à ce que l’Iran utilise ses affidés habituels comme le Hezbollah ou encore fomente un attentat contre une ambassade ou des intérêts israéliens à l’étranger.

Mais la pluie de drones et de missiles, apparemment télégraphiée à l’avance, est un précédent entre ces deux nations. Ce n’est cependant pas la première fois qu’un autre pays de la région attaque directement Israël.

En 1991, Saddam Hussein avait lancé ses missiles Scud irakiens sur l’État hébreu. Imprécis, ils tombaient un peu partout, faisant peu de dommages. On craignait qu’ils soient dotés de l’arme chimique. Ce n’était pas le cas.

Les Israéliens avaient absorbé le choc, sachant que la coalition internationale se chargerait d’expulser les Irakiens du Koweït dans le cadre de l’opération Tempête du désert.

Malgré cette guerre, le processus de paix s’était poursuivi, notamment avec la Conférence de Madrid qui mena aux accords d’Oslo pour une solution au conflit israélo-palestinien. On envisageait même que le régime syrien d’Hafez al-Assad signe la paix avec Israël.

Mais c’était une tout autre époque. Le mur de Berlin venait de s’effondrer et la Pax Americana avait le vent dans les voiles. Ce n’est évidemment plus le cas aujourd’hui.

Érosion du modèle occidental

Aujourd’hui, le président Joe Biden a bien du mal à contrôler le premier ministre Benyamin Nétanyahou. Le système politique américain apparaît dysfonctionnel, incapable de rassurer les alliés sur la continuité de la politique étrangère américaine, exacerbée par un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

PHOTO SAUL LOEB, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien président des États-Unis Donald Trump et le premier ministre d’Israël, Benyamin Nétanyahou, en 2020

Facteur aggravant, on assiste à la lente érosion de l’infrastructure légale internationale, issue de la Seconde Guerre mondiale, sous les coups de boutoir du Sud global. Mais pas seulement.

Le comportement des forces israéliennes à Gaza et l’attaque d’une entité diplomatique sapent aussi la crédibilité de ce système.

De même que l’approche différenciée de nos capitales quand il s’agit de l’Ukraine et de Gaza. Les « deux poids, deux mesures ».

La scène mondiale souffre de la compétition accrue entre deux blocs : celui des démocraties occidentales et quelques autres comme le Japon d’un côté, et de l’autre, la Chine, la Russie et leurs alliés qui souhaitent instaurer un nouvel ordre international.

Israël et l’Iran ne seraient-ils pas devenus la preuve de cette nouvelle réalité mondiale ? Israël étant vu comme faisant partie du premier groupe et l’Iran, du deuxième.

La communauté internationale pouvait compter sur les Nations unies pour aider à la résolution des conflits et mettre en place les instruments permettant la paix.

Mais, victime des divisions internationales, cette organisation a perdu de son influence politique et ressemble de plus en plus à la Société des Nations, qui s’était révélée impuissante à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Un rôle constructif pour le Canada

Au Conseil de sécurité, les représentants des deux blocs se servent du droit de veto pour se nuire mutuellement. Ajoutons à ce constat l’absence de perspective globale pour un règlement de paix et pour assurer la stabilité au Proche-Orient.

C’est ici que le Canada pourrait jouer un rôle constructif.

Sur Gaza, on peut saluer quelques gestes positifs du gouvernement de Justin Trudeau, comme le retour du financement à l’UNRWA ou la suspension des ventes d’armes à Israël.

Mais dans ce dossier, Ottawa se satisfait trop souvent des communiqués du G7, peu imaginatifs. Notre feuille de vigne diplomatique !

Notre pays a déjà servi de pont entre les Israéliens et les Palestiniens. Ce fut le cas lorsque le Canada était à la tête de l’important groupe de travail sur les réfugiés du processus d’Oslo. Il a été impliqué dans des contacts informels (track 2) entre Palestiniens et Israéliens par la suite.

Pourquoi le Canada ne pourrait-il pas jouer un rôle de premier plan dans la reconstruction de Gaza et la formation d’institutions palestiniennes crédibles ? Avec nos partenaires internationaux habituels, mais aussi les ONG pertinentes et les Nations unies.

PHOTO MOHAMMED SALEM, REUTERS

Enfants palestiniens parmi les ruines de Rafah, dimanche dans la bande de Gaza

Notre diplomatie pourrait aussi faire preuve d’initiatives novatrices pour favoriser la mise en place de la solution des deux États, Palestine et Israël.

À ce stade, c’est la seule option qui est quasi consensuelle. À l’exception du cabinet Nétanyahou, bien sûr, qui sera sans doute remplacé, et selon les sondages, une large partie de l’opinion publique israélienne qu’il faudra convaincre.

Le Canada devrait dès maintenant commencer à stimuler la réflexion, bâtir une coalition internationale, sur ce à quoi pourrait ressembler en pratique la solution des deux États : frontières, structures politiques et économiques, sort des réfugiés, financement de la Palestine, désarmement, etc.

Cela pourrait passer par des conférences, la préparation de documents de réflexion, de tables rondes, notamment avec des membres des communautés concernées au Canada. Le milieu universitaire d’ici peut aussi jouer un rôle central. Et la reconnaissance de la Palestine par notre le gouvernement. Pourquoi ne pas encourager à l’organisation d’un « Madrid 2 », une fois que les affrontements seront terminés ?

Notre contribution pourrait être que les deux États, Palestine et Israël, deviennent autre chose qu’un vague slogan, mais une réalité. Et un objectif commun pour toute la communauté internationale.

Bien sûr, ce processus sera long et rempli d’obstacles. Le Canada ne peut pas le faire seul. Avec son réseau d’alliés et ses diplomates qui ne demandent pas mieux que d’être utilisés intelligemment, c’est une carte qui mérite d’être jouée.

Il faut trouver la volonté politique et le courage de se lancer dans pareil projet.

Le mouvement citoyen qui s’active au pays présentement pour mettre un terme à la tragédie gazaouie devra maintenir la pression pour l’avenir de cette enclave et plus largement celui de tout le Moyen-Orient.

Le retour à une situation d’avant l’assaut du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël est tout simplement impossible.

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