Jusqu’à tout récemment, les petits Polonais ployaient sous la quantité de devoirs. Désormais, ils n’en auront plus du tout, tel que l’a décrété le tout nouveau gouvernement qui en avait fait une promesse électorale. Plusieurs voix s’élèvent contre cette petite révolution, arguant qu’elle n’a pas été précédée d’une réflexion de fond. Utiles ou pas, les devoirs, au fait ?

Au Québec, le cas est classique. Une année, votre enfant revient de l’école avec des devoirs et des leçons. L’année suivante ? Rien du tout. L’enseignante du niveau au-dessus ne donne pas de travail à la maison. Elle n’y croit pas. Ou alors, au secondaire, dans une matière donnée, votre ado a régulièrement des devoirs et des leçons. Dans d’autres ? Rien à faire.

Trop souvent encore, « les décisions concernant les devoirs sont dictées par des considérations idéologiques, économiques ou politiques et s’appuient sur des idées reçues plutôt que sur la science », écrivent les professeurs Roch Chouinard et Geneviève Charpentier, de même que Yousra Boudribila, étudiante à la maîtrise, dans une recension de littérature sur l’utilité des devoirs publiée en 20221.

Bien doser pour en tirer profit

Leur conclusion, après avoir parcouru 60 études d’ici et de l’étranger sur le sujet ? Les études reposant sur des « méthodologies appropriées » portent à croire que « l’effet des devoirs sur le rendement scolaire serait positif, et ce, plutôt en fonction de leur fréquence et de leur régularité que de leur durée », peut-on lire.

Que penser, alors, des opposants aux devoirs qui font valoir que le travail à la maison nuit aux apprentissages ou à tout le moins, n’apporte rien ?

Les trois chercheurs ne cachent pas que certaines des études qu’ils ont passées en revue – dont certaines datent de 30 ans – ont vu leurs conclusions contredites par des travaux plus récents aux analyses plus fines.

Dans les années 1990, notamment, le chercheur Harris Cooper a conclu que les devoirs avaient un effet bénéfique à la fin du secondaire, mais que ce serait négligeable chez les élèves du primaire, évoquent les auteurs de la recension.

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Roch Chouinard, professeur de la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal

Or, ces conclusions ont été tirées sans égard, par exemple, au rendement scolaire des élèves.

Ainsi, soulignent les chercheurs, des jeunes ont peut-être consacré beaucoup de temps à leurs devoirs en pure perte – sans avoir de bonnes notes ensuite – parce qu’ils ont à la base des difficultés scolaires.

Bref, en omettant de contrôler des variables aussi fondamentales que le rendement des élèves, en s’appuyant sur une méthodologie inadéquate, des études en sont arrivées à des conclusions qui ont depuis lors été invalidées.

L’ennui, c’est que ces vieilles études, « largement diffusées dans la population, influencent encore à ce jour les conceptions et les pratiques relatives aux devoirs et constituent un argument souvent invoqué en leur défaveur », écrivent les auteurs.

Quel genre, et à quelle fréquence ?

En entrevue, Roch Chouinard, qui a consacré sa carrière aux questions de motivation scolaire et de gestion de classe, évoque une scène typique de retour d’école. L’enfant revient avec un mauvais bulletin. Paniqués, les parents se mettent à superviser étroitement tout travail scolaire. L’enfant « se trouve mauvais et ça le démotive ».

La solution, alors ?

Bien que plusieurs études soient contradictoires, des pistes communes ressortent.

Au primaire, Roch Chouinard, Geneviève Charpentier et Yousra Boudribila écrivent que « les devoirs devraient être ludiques et l’occasion d’apprendre autrement ».

Aussi, « il faut “préférer la fréquence à la durée” et il faut que les devoirs soient signifiants ».

[Les élèves du secondaire] n’ont aucun devoir à faire pendant des jours, puis toutes les remises de travaux tombent en même temps. Les professeurs devraient vraiment mieux se coordonner.

Roch Chouinard, professeur de la faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal

Cela peut être une grosse source d’anxiété pour les jeunes, évoque M. Chouinard.

Les devoirs trop longs, ennuyeux, répétitifs ou qui ne sont pas accompagnés de consignes claires sont à proscrire.

L’argument de l’équité

Coup de fil au psychologue Camil Bouchard, auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants et tenant de l’une des thèses centrales de ceux qui s’opposent aux devoirs : ils ne doivent pas être donnés, en tout cas pas de façon obligatoire, parce qu’ils creusent les disparités entre les enfants, certains ayant des parents en mesure de les encadrer et d’autres pas.

Si les devoirs sont obligatoires, « il y aura nécessairement une iniquité entre les enfants ».

Camil Bouchard fait remarquer que les enfants ne sont plus attendus comme jadis à la maison avec un verre de lait par l’un de leurs parents (la mère, s’entend). Les parents rentrent tard du travail, souvent fatigués, et certains parlent une langue étrangère.

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Le psychologue et auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants, Camil Bouchard

[Imposer des devoirs] n’améliore pas la qualité de vie des familles.

Camil Bouchard, psychologue et auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants

Le psychologue relève que parents et enfants ont déjà peu de temps pour partager des moments agréables en famille.

Une telle position ne signifie-t-elle pas un nivellement par le bas ? Et faut-il interdire les devoirs parce que les parents manquent de temps ?

Pour Camil Bouchard, les devoirs, si devoirs il y a, doivent être faits à l’école. Pendant ou après les heures de cours au service de garde « si le personnel est qualifié » pour s’acquitter de cette tâche.

À faire de façon autonome

Yolande Brunelle a œuvré 25 ans comme enseignante au primaire et comme directrice dans des écoles de milieux défavorisés. Aujourd’hui, elle supervise les stages des futures enseignantes. Où se situe-t-elle dans ce débat ? « Entre plein de devoirs et pas de devoirs du tout, un juste milieu me semble à privilégier », dit-elle.

Déjà, une gradation s’impose. En première année, dix minutes suffisent amplement, selon Yolande Brunelle. Puis, la durée du travail à faire à la maison peut être augmentée.

Le devoir, avance Mme Brunelle, pourrait très bien être de lire avec son enfant dans les petites classes.

« Mais il faut absolument que l’enfant, en 1re et en 2e année, apprenne à lire », sa réussite étant largement tributaire de cette compétence.

Pour la suite du primaire et du secondaire, les devoirs, rappelle-t-elle, visent à consolider les apprentissages. L’élève devrait donc les faire de façon autonome.

Dans son école très multiethnique, Mme Brunelle explique qu’elle aimait donner des travaux d’équipe, les moins forts ou les moins soutenus à la maison étant ainsi aidés par les plus outillés qu’eux. Elle rappelle aussi que dans les milieux défavorisés, beaucoup d’organismes communautaires aident aux devoirs, au besoin.

Elle fait par ailleurs observer que de donner ou pas des devoirs relève de l’autonomie professionnelle de chaque enseignant.

Cela est déroutant pour le parent, qui ne comprend pas que les devoirs soient jugés impératifs une année donnée, puis inexistants l’année suivante, parfois.

Mme Brunelle en est très consciente. « C’est une question qui peut être présentée au conseil d’établissement ou à la direction de l’école. »

1. « Les devoirs : corvée inutile ou indispensable opportunité d’apprentissage ? », Roch Chouinard, Geneviève Charpentier et Yousra Boudribila, Revue des sciences de l’éducation, 2022