Jouer au basket. Telle est l’occupation à temps plein de Nervens Demosthene. Pour un joueur ayant eu comme principal objectif d’entrer à l’université, gagner sa vie grâce à sa passion, « c’est juste de l’extra ».

L’athlète de 28 ans nous a donné rendez-vous au Centre sportif de l’UQAM, rue Sanguinet. Coin vitré de Claude Dubois et repaire de la Toundra de Montréal, où à raison de trois fois par semaine, le garde travaille à peaufiner ses tirs et sa technique.

Dans le troisième sous-sol de l’établissement, des joueuses des Citadins prennent des lancers de trois points sur le premier terrain du gymnase. De l’autre côté du rideau, les joueurs de la Toundra s’étirent et font quelques paniers avant de se lancer complètement dans le premier de deux entraînements prévus au programme de la journée.

Au milieu de l’entraînement, après un exercice de lay-ups et de tirs enroulés, Demosthene s’assoit sur un banc en bois similaire à tous ceux que l’on retrouve dans les gymnases de la province.

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Nervens Demosthene

Jamais le joueur de 28 ans ne s’était imaginé un jour accorder une entrevue en tant que joueur professionnel de basketball. Mais ce passage dans le Quartier latin, en ce vendredi matin à saveur de printemps, valait le détour, simplement pour comprendre la réalité de Demosthene et de ses 22 coéquipiers.

« On sait dans quoi en s’embarque »

Primo, la Toundra n’est pas l’Alliance. Ce sont deux équipes distinctes faisant partie de deux circuits différents. Deuxio, cette nuance est importante, car même si le basketball professionnel s’intègre de mieux en mieux dans la métropole, les joueurs et les paramètres dans lesquels ils évoluent demeurent flous.

Demosthene, originaire de Terrebonne, dans la couronne nord de Montréal, a éclairé nos lanternes en définissant de quoi son quotidien était fait.

Entraînement en gymnase cinq fois par semaine et musculation trois fois par sept jours ; 24 matchs entre janvier et avril et un contrat valide entre cinq et six mois d’une valeur de 2000 à 10 000 $ par mois, dépendamment des joueurs.

« En ce moment, c’est basket à temps plein. Le salaire est quand même bon pour vivre », précise Demosthene.

La durée ultracourte des contrats est certainement accompagnée de quelques désavantages. « C’est stressant au début, avoue le joueur de 6 pi 1 po, mais si tu as confiance en toi, si tu crois en toi, ça va. C’est ça, la vie d’un athlète. On sait dans quoi en s’embarque. »

C’est cependant la raison pour laquelle le Québécois se fait un devoir de profiter entièrement de chaque journée lui étant offerte pour fouler un terrain et être rémunéré pour jouer au basket. « On ne sait jamais quand ça peut se terminer. Une petite blessure, ou tu peux te faire couper. Ça peut partir du jour au lendemain. »

Considérant le milieu duquel il est issu, ce privilège de porter le maillot d’une équipe professionnelle est une véritable bénédiction.

De Montréal-Nord à la couronne nord

Demosthene a grandi entouré de sept frères et sœurs. Ses parents ont mis au monde cinq garçons et trois filles. Le plus jeune du quintette masculin est devenu l’exception de la fratrie. D’une part, parce qu’il est le seul à avoir percé dans le monde du basketball. « Ma famille, c’est vraiment du soccer. Mon père est un gros fan de soccer. » D’autre part, il est le seul à avoir eu accès à des études universitaires. Il a fait ses classes à Bishop’s, en Estrie. « J’essaye d’être un modèle pour ma famille. Je veux bien m’occuper d’eux. »

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Nervens Demosthene

L’idée d’entrer à l’université grâce au basket l’a habité dès ses débuts. C’était la quintessence de ses espérances, son rêve le plus précieux.

Comme bien des jeunes, Demosthene a commencé à aiguiser ses habiletés dans la rue, à Montréal, lorsqu’il était à l’école primaire. Il affirme d’ailleurs que la rue demeure « la meilleure école pour apprendre le basket ».

Au secondaire, sa famille a déménagé à Terrebonne et en cinquième secondaire, il a été initié pour la première fois dans une structure et un système pouvant enfin favoriser son développement. C’était à l’école Du Harfang, à Sainte-Anne-des-Plaines.

Je savais que j’avais du potentiel, je savais que j’étais bon au basketball. J’avais quand même beaucoup à apprendre de la structure.

Nervens Demosthene

Il a ensuite mis les bouchées doubles pour rattraper son retard en deuxième division au collège Montmorency, ensuite à Bishop’s, puis en Saskatchewan, où il a conclu sa carrière universitaire. « J’avais reçu des offres à la fin de ma carrière universitaire en Saskatchewan pour la division 3 en Espagne, mais j’ai refusé pour venir jouer avec la Toundra », insiste-t-il.

Le rêve de l’Europe

Demosthene est d’abord rentré à la maison avec l’espoir de rejoindre les rangs de l’Alliance, dans la Ligue élite canadienne de basketball (LECB). Ligue dans laquelle il avait été repêché au cinquième rang en 2022 par les Blackjacks d’Ottawa.

Ça ne s’est toutefois jamais produit. En fait, revenir à la maison pour entamer sa carrière professionnelle était sa priorité.

La Toudra est arrivée l’année passée et c’est tombé au bon moment, j’ai saisi l’occasion.

Nervens Demosthene

Maintenant que c’est chose faite et qu’il peut cocher cette autre case sur sa liste de souhaits, Demosthene voit plus grand. L’Europe semble être, dans son esprit, la destination ultime. Là où, au péril d’en surprendre certains, les partisans sont aussi, sinon plus, passionnés et déchaînés qu’en Amérique du Nord.

« Je ne suis pas tout à fait confortable encore. Je veux vraiment aller en Europe si je peux jouer deux ou trois ans encore. Ou si je peux jouer LECB, je vais essayer d’y aller. Le but, c’est de faire de l’argent aussi, je veux vivre de mon sport. »

En attendant, jouer devant les siens le comble de bonheur. « Je ne peux pas demander mieux. » Et il demeure la preuve vivante que d’implanter des clubs professionnels dans la Belle Province incitera les jeunes à rentrer au bercail. Ça leur permettra surtout de croire en eux. « Le fait de voir qu’il y a une équipe professionnelle dans ton propre environnement, ça fait en sorte que ça intéresse plus les joueurs d’ici. »

Demosthene a même conclu l’entrevue en nous laissant un peu de ses pensées, en comparant la situation du basketball à celle du hockey féminin : « Les femmes, ça bouge ! C’est la première année [de la LPHF] et elles arrivent à remplir des arénas. Elles créent beaucoup d’engouement. C’est une étape de plus pour le sport. Le Québec mérite qu’on mette plus d’argent ailleurs que dans le hockey masculin. »