Avec 55 ans de vie professionnelle notariale, je regarde le droit non pas avec les lunettes du litige, mais avec les yeux d’un juriste qui a eu devant lui des personnes désireuses de consensualisme. Cela étant, quel que soit le degré de complexité d’une loi, l’humain n’étant pas toujours « raisonnable », des situations qui demeurent l’exception aboutiront au tribunal.

Mais de là à s’entêter à ne voir que de l’adversité partout et en tout temps, il y a une montagne juridique que le Québec a su surmonter, d’une part en tablant sur une législation mieux adaptée à la réalité sociologique d’aujourd’hui et, d’autre part, en invitant fortement les citoyens à prendre en main leur destinée juridique. On reconnaît ici la philosophie qui a présidé à l’adoption en 2014 du nouveau Code de procédure civile.

Il faut bien accepter que le Québec matrimonial structurellement inégalitaire des années 1940 à 1970 est révolu.

À mon avis, font fausse route celles et ceux qui ne voient pas que nos filles d’aujourd’hui évoluent dans un autre univers. Et c’est pour elles que l’État s’apprête aujourd’hui à légiférer.

Le projet de loi 56 constitue la troisième tranche de la réforme du droit de la famille que le ministre de la Justice a le courage de poursuivre. Il donne suite aux travaux du Comité consultatif sur le droit de la famille présidé par le professeur Alain Roy, travaux rigoureux échelonnés sur deux ans et, qui plus est, dans le respect du génie du droit civiliste qui est le nôtre. Le rapport Roy a recueilli en 2015 la quasi-unanimité de ses membres.

Depuis juin 2015, ce rapport a fait l’objet de nombreuses consultations. Il n’arrive donc pas soudainement comme une perruque chutant dans un bol de soupe. Ses recommandations reposent sur les constats tirés de l’analyse de la réalité matrimoniale du début du XXIe siècle confirmée lors des consultations.

Quelle est cette réalité ?

Tout d’abord, les femmes d’aujourd’hui, puisque c’est en leur nom, sans le dire, que sont formulées les critiques, ne sont plus ces êtres dépourvus et dominés d’une époque heureusement lointaine. Elles sont d’ailleurs les premières à défendre jalousement cette autonomie qu’elles ne voudraient pour rien au monde sacrifier, sinon de consentement et avec compensation appropriée. Il faut se garder de les voir dépendantes et vulnérables.

Si le législateur doit procurer un soutien adéquat à celles dont la situation le nécessite, il ne doit pas le faire au détriment de celles qui aspirent légitimement à organiser leurs affaires conjugales comme elles l’entendent.

L’autre réalité, c’est la distinction proprement québécoise de l’importance du nombre de couples vivant en union de fait avec plus de la moitié des enfants naissant au Québec au sein de ces couples. Ce phénomène de l’union dite autrefois « libre », la réforme du droit de la famille de 1980 n’en avait pris note que timidement. Le législateur se devait de faire mieux, beaucoup mieux, et maintenant !

Judicieux équilibre

Appartient-il au législateur de dicter à ses citoyens quelle formule de vie commune ils doivent adopter ? Ne lui appartient-il pas plutôt, sans juger, d’offrir aux couples qui conçoivent ou adoptent un enfant hors mariage un cadre législatif susceptible d’assurer un judicieux équilibre entre, d’une part, les impératifs d’une protection patrimoniale justifiée par la présence d’un enfant et, d’autre part, les valeurs d’autonomie de la volonté et de liberté contractuelle chères aux Québécois et Québécoises ?

Le ministre a choisi cette dernière option en instituant entre conjoints de fait, parents d’un enfant commun, le partage d’un patrimoine parental composé des biens les plus essentiels à la famille, soit la résidence principale, ses meubles et les véhicules qui servent à ses déplacements, et en élargissant à leur profit le champ d’application des mesures de protection et d’attribution de la résidence familiale jusqu’à ce jour réservées aux conjoints mariés ou unis civilement. S’ajoute le droit à une prestation compensatoire grandement facilitée pour le conjoint qui, par ses activités, notamment celles liées aux soins de l’enfant et à son bien-être, s’est appauvri en contribuant, corrélativement, à l’enrichissement de l’autre.

Le ministre a aussi répondu à une demande répétée depuis des années, celle d’attribuer au conjoint en union parentale survivant le droit de succéder à son conjoint prédécédé sans testament, et ce, au même titre que le conjoint marié.

Ce sont là, à mon avis, des avancées majeures en faveur d’une plus grande équité entre les conjoints de fait, parents d’un même enfant. Bien sûr, on aurait pu embrasser plus largement, mais au mépris des aspirations autonomistes légitimes d’un grand nombre de couples.

La réaction unanimement favorable des partis de l’opposition à l’Assemblée nationale témoigne de la justesse des limites arrêtées dans son projet par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, qu’il convient de féliciter, lequel fait ainsi honneur à l’exceptionnel travail des membres du Comité consultatif sur le droit de la famille.

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