Sur le tableau vert de la classe de madame Edith, une constellation de « Post-it » jaunes. On entend les chaises grincer sur le sol alors que les enfants de 10 et 11 ans se lèvent pour afficher le fruit de leurs réflexions : les côtés négatifs et positifs des écrans.

« Ça me pique les yeux. » « Ça me rend en colère. » « Moins de moments en famille. » « Chicanes avec mes parents. » « Risques de se faire hacker. »

« Communiquer entre amis et avec ma famille. » « J’aime construire et créer. » « Ça me fait rire. » « J’apprends. » « Je me divertis. »

De classe en classe, les enfants sont capables de verbaliser que les écrans occupent une place imparfaite dans leur quotidien. Encore mieux : ils sont enthousiastes à l’idée d’en parler.

La santé des jeunes et les impacts des écrans font couler beaucoup d’encre dernièrement avec la publication d’un texte de Jonathan Haidt⁠1, qui a tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur les risques associés à une utilisation des téléphones et réseaux sociaux chez les jeunes. Les constats qui y sont émis au sujet de la santé mentale, de la vie privée ou de l’apprentissage nous préoccupent aussi fortement. Ce sont d’ailleurs eux qui nous motivent depuis plusieurs années à mettre sur pied au Québec des ateliers de sensibilisation auprès d’élèves du secondaire et, plus récemment, du primaire.

Depuis 2020, notre équipe arpente les classes grâce à ces ateliers de prévention aux méfaits des écrans et d’éducation à l’autodéfense numérique. Plus de 40 000 jeunes rencontrés plus tard, un aspect incontournable suscite notre enthousiasme et celui du corps enseignant : les enfants, et encore davantage les ados, qui détiennent l’expertise de leur vécu avec le numérique, sont capables de pensée critique et prêts à parler de leur relation aux écrans.

Pourtant, dans la sphère publique, l’expérience des jeunes continue d’être dépeinte comme celle de victimes passives des écrans.

Établir un lien de confiance et miser sur l’inclusion de la jeunesse

Tracer une image passive de la jeunesse nous tend forcément vers une attitude paternaliste. « Nous devons protéger nos enfants incapables de bien utiliser les écrans ! » Cette approche risque d’entraîner des prises de décision unilatérales et d’exacerber la polarisation entre les générations où les préjugés peuvent se substituer à l’écoute et au dialogue. De toute évidence, les méfaits associés à l’omniprésence du numérique dans nos vies sont désormais indéniables. Et alors que la portée exacte de ces risques continue d’être précisée, il y a un point qui pourtant fait l’unanimité, en matière de prévention : l’importance de travailler de pair avec les personnes concernées en adoptant une attitude inclusive et sans jugement⁠2.

Une première étape de cette ouverture au dialogue est de reconnaître et d’accepter l’intérêt que les jeunes portent à ces plateformes.

Les études documentent aussi leur rôle sur la création identitaire, le sentiment d’appartenance ou l’autonomie⁠3. Lors d’un atelier, un élève de 4secondaire nous explique bien cette réalité : « À l’école, j’ai été intimidé parce que j’aime dessiner des mangas, mais sur Instagram, j’ai toute une communauté qui m’encourage à faire ce que j’aime. » À plus grande échelle, on songe bien sûr aussi aux communautés qui ont promu une prise de conscience sociale, comme #metoo, Black Lives Matters et la mobilisation contre la crise climatique.

Ces possibilités ne sont pas pour autant une raison de passer toute la journée devant l’écran. La recommandation de la Santé publique du Québec pour les enfants de 6 à 12 ans reste de limiter le temps d’écran à deux heures par jour⁠4. Et de manière tout aussi critique, il faut considérer à quoi ressemble ce temps ; éduquer aux risques associés aux écrans doit se faire avec une promotion des bonnes pratiques, de ce que signifie « bien utiliser » les écrans.

Pour l’encadrement, pour l’éducation, âge par âge

Considérer la curiosité et la pensée critique des enfants et des ados, c’est miser sur leur autonomie en passant par l’éducation et la sensibilisation. Dès que nous abordons les stratégies pour prendre de saines habitudes pendant nos ateliers offerts aux enfants du primaire, ces derniers font mention de leurs parents. « Les règles, elles m’aident, parce que sinon, je passerais trop de temps là-dessus. »

Dans la famille, un encadrement qui limite le temps et le contenu des écrans, tout en s’intéressant à ce que le jeune y fait, est absolument nécessaire. L’encadrement et la régulation des entreprises et des plateformes numériques le sont tout autant.

Après tout, la problématique est large et complexe. Chez les enfants comme chez les ados, les adultes sont montrés du doigt pour leurs habitudes tout aussi excessives du numérique. Il est particulièrement touchant au primaire de voir s’agiter la classe chaque fois qu’un jeune exprime : « Mes parents, eux aussi, devraient avoir des règles pour jouer plus souvent avec moi. »

Chacun à sa façon, petits et grands, est capable d’esprit critique, d’écoute et de collaboration pour offrir son attention aux autres, plutôt qu’aux applications qui tentent de la capter à tout moment. Misons sur notre habileté à échanger, à écouter, à nous éduquer, à connecter au-delà de nos appareils.

1. Lisez l’article « End the Phone-Based Childhood Now » sur le site de The Atlantic (en anglais ; abonnement requis) 2. Lisez « Smartphones, social media use and youth mental health » (en anglais) 3. Lisez « Social Media and Youth Mental Health » (en anglais)

4. Rappelons que pour les 0-5  ans, on parle de limiter le temps d’écran au maximum ; à éviter avant 2 ans, et se limiter à une heure par jour de contenu éducatif pour les 2 à 5 ans.

*Cosignataires : Charles Bourgeois, doctorant et chargé cours en éducation et numérique, Université de Sherbrooke ; Marie-Pier Jolicœur, juriste et doctorante en droit, Université Laval ; Vincent Beaulac, étudiant à la maîtrise en éducation, Université de Sherbrooke ; Antonin Lelièvre, doctorant en psychologie avec spécialisation en jeux vidéo, UQAM

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue