Il fallait s'y attendre. Dès la parution de la nouvelle étude du Journal of the National Cancer Institute suggérant que la consommation de fruits et légumes avait très peu d'impact sur la prévention du cancer, notre bureau a été assailli de demandes d'explications.

Comment se fait-il qu'après toutes ces années au cours desquelles l'on nous a rebattu les oreilles des vertus des tomates, du brocoli et des carottes, il semble que la science ait changé de cap? En fait, cette nouvelle, qui semble contredire les arguments soutenus par le passé, illustre selon moi ce qu'est véritablement la science: une progression vers une meilleure compréhension des facteurs qui nous affecte, sur des bases de données de plus en plus fiables.

Tout a commencé au début des années 90, avec une vague d'enthousiasme pour la consommation de fruits et de légumes. Les vertus d'une telle alimentation donnaient lieu d'espérer la réduction des risques de cancer, lesquels affichaient une progression constante en raison du vieillissement de la population de baby-boomers de l'après-guerre. L'on soutenait alors que la consommation quotidienne minimale de cinq portions de fruits et légumes pouvait réduire l'incidence de cancer jusqu'à 50%.

Ces données ont amené certaines personnes à apporter des changements radicaux à leurs habitudes alimentaires. Les tomates étaient mangées pour le lycopène, le brocoli pour le sulforaphane et on se donnait bonne conscience en buvant du vin, ce dernier étant réputé source de resvératrol. Les conseils d'Hippocrate étaient cités comme justification «...que ta nourriture soit ton remède».

Les premières recherches soutenant les bienfaits de la consommation de fruits et de légumes avaient une lacune : elles reposaient surtout ce que l'on appelle des études de cas-témoins. Ces études comparent des patients (les cas) sous investigation atteints de la maladie, soit le cancer, avec un groupe de contrôle sain (les témoins). Dites «rétrospectives», ces études sont de par leur nature biaisées.

Les études «prospectives» sont beaucoup plus fiables. Au lieu d'étudier l'historique des sujets selon la présence ou l'absence d'une maladie comme le cancer, les participants d'une étude prospective sont soumis à un suivi préalable en fonction de différents facteurs, dont la consommation de fruits et légumes.

L'étude menée par le Journal of the National Cancer Institute est justement une étude prospective. Plus de 50 chercheurs ont analysé les habitudes alimentaires de près de 500 000 individus de 10 pays européens pendant neuf ans. De ce nombre, environ 30 000 personnes ont développé différentes formes de cancer. Les chercheurs ont conclu qu'au mieux, la consommation de deux portions supplémentaires de fruits et légumes pouvait réduire les risques de cancer de 2,6% chez l'homme et de 2,3% chez la femme.

L'étude ne m'amène pas à changer d'avis sur les avantages d'un régime alimentaire riche en fruits et légumes. Bien que les taux de réduction de cancer soient faibles (2,5%), ils représentent malgré tout une réduction annuelle de 2500 cas au Canada (38 000 aux États-Unis). Comme l'étude portait sur l'ensemble des formes de cancer, il est également possible que des aliments soient davantage bénéfiques pour certains types. Pensons aux tomates, et au lycopène, pour lutter contre le cancer de la prostate.

Le message à retirer de cette étude m'apparaît clair. Cessons de se préoccuper d'aliments devant impérativement figurer au menu et adoptons en revanche l'approche inverse, qui consiste à limiter (sans pour autant sombrer dans l'excès) la consommation d'aliments à risque: la viande rouge et les charcuteries, par exemple. Il faut aussi savoir contrôler notre appétit. L'obésité est sans équivoque l'un des facteurs de risque du cancer.