La justice est un chantier à tout vent. Un procès commence par une sublimation de la vérité. Serment oblige: chaque témoin déclare que sa déposition sera la vérité, toute la vérité et rien d'autre que la vérité. Jamais pure, la vérité est rarement simple. Les perceptions changent autant que les situations. La vérité évolue dans une zone d'ombre et de lumière et le vrai n'est pas toujours vraisemblable.

En cour, la vérité n'est que le résultat des questions formulées. Filtrée par la procédure judiciaire, elle s'éloigne de la rigueur scientifique. L'interrogatoire d'un témoin ne garantit jamais l'exactitude d'une scène de vie adossée à la raideur de la loi. De plus, la mémoire peut défaillir. Au passage du temps, c'est la vérité qui s'enfuit.

 

Le désir inconscient de réconcilier les faits avec l'intérêt d'une partie peut également teinter la vérité. Parfois, le relief du récit y gagne, mais la vérité y perd.

Éprouvé par les malheurs de son fils, Guy Lafleur a-t-il, par son mensonge judiciaire, agi en authentique criminel? Aurait-il eu simplement un comportement social dérogatoire? Avant le dépôt de la dénonciation, la question méritait d'être examinée.

Certes, l'accusation (témoignages contradictoires) portée contre Guy Lafleur échappe à la courte liste des infractions visées par les mesures de rechange. Quand même, le pouvoir discrétionnaire du poursuivant n'empêchait pas d'apprécier les circonstances du dossier. De plus, était-ce d'intérêt public de frapper si fort dans le choix de l'inculpation? La poursuite aurait pu choisir l'accusation d'entrave à la justice. En pareil cas, rendu possible, l'octroi d'une absolution judiciaire aurait épargné à Guy Lafleur les stigmates d'un casier judiciaire.

Force est d'admettre que, à la suite de son arrestation abusive, la poursuite civile intentée par Guy Lafleur n'était pas de nature à favoriser le recours à une mesure de rechange. Dommage! Tout le monde est perdant: l'accusé, bien sûr, mais la justice également. À en juger par certaines réactions bien senties, la confiance du public envers la justice semble ébranlée.

Dans une société démocratique, il incombe au tribunal d'appliquer la loi. Le magistrat a conclu sèchement: en rendant témoignage, Guy Lafleur avait l'intention de tromper la cour. La Cour d'appel révisera le dossier.

La loi est dure, mais c'est la loi! Une peine - Guy Lafleur connaîtra la sienne le 18 juin - doit sanctionner l'auteur du «crime». Soit. Mais, la justice ne saurait ignorer la détresse qui colore le «crime».

Plus intéressant que la technique juridique, il y a la compréhension des principes de justice. L'imposition d'une peine a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sécuritaire.

Un principe fondamental guide l'action du juge: la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction commise et au degré de responsabilité de l'accusé. À cette fin, le juge doit moduler la sanction en tenant compte des circonstances (aggravantes ou atténuantes) liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation de l'accusé.

Lorsque les circonstances s'y prêtent, la cour doit examiner la possibilité d'infliger une peine moins contraignante que la privation de liberté. Parfois, à la suite d'un jugement de culpabilité, l'humiliation publique subie par une personne peut constituer un facteur d'atténuation de la peine. À l'égard de l'accusé, les objectifs de dénonciation et de dissuasion peuvent ainsi être atteints.

Subjectivement, la certitude d'encourir une peine a souvent plus d'impact que la sévérité qui l'accompagne. La répercussion médiatique d'une affaire judiciaire sur la réputation d'un accusé peut également combler l'objectif d'exemplarité générale et assouplir la rigueur de la peine.

Enfin, l'inévitable casier judiciaire - surtout les conséquences qui s'y rattachent - fait partie de l'aspect punitif de la peine. Le tribunal peut prendre en compte cet inconvénient majeur pour l'accusé tenu (aux fins de travail) de voyager hors du pays.

La loi se veut égale pour tous. Hélas, c'est un voeu pieux... sinon un pieux mensonge. Dans ce registre, tout compte fait, le mensonge de Guy Lafleur est-il si grave qu'il faille transformer un père maladroit en brebis expiatoire?

Au dernier acte d'une singulière affaire de justice, souhaitons que le juge puisse recoller les morceaux.

L'auteur est avocat.