L'annonce récente d'une nouvelle salle de spectacle, dans ce qui sera un espace consacré au jazz au coeur du Quartier des spectacles à Montréal, devrait normalement être applaudie comme étant une excellente nouvelle. Cette annonce a pourtant fait l'objet d'une minicontroverse liée au nom qu'on leur a donné: la Maison du jazz Rio Tinto Alcan et la salle Astral. Certains chroniqueurs se sont offusqués du fait que l'on commercialise ainsi une institution à vocation culturelle. A-t-on raison de s'offusquer ainsi?

Il importe de démystifier certaines croyances persistantes.

Tout d'abord, la commandite n'est pas un don. C'est un investissement marketing qui s'apparente davantage à la publicité qu'au don. Ainsi, comme en publicité, les gestionnaires de commandite doivent justifier leurs investissements en fonction de retombées mesurables, pas nécessairement quant aux ventes, mais quant à la visibilité (être vu) et la notoriété (être reconnu). Dans un contexte économique hyperconcurrentiel, les directions d'entreprises, et même les actionnaires, requièrent des justificatifs argumentés aux investissements en marketing, ce que la commandite réussit à faire. Si elles ne pouvaient en justifier les retombées, il est loin d'être sûr que les entreprises privées pourraient continuer à long terme d'investir en culture.

 

Donc, le choix qui se pose de plus en plus aux gestionnaires de marketing n'est pas «à qui vais-je faire un don?» (de plus en plus de causes humanitaires et caritatives bataillent pour cette place-là), mais plutôt «où allons-nous investir: dans un message télévisé (ou imprimé ou web) ou en commandite?».

Plutôt que de nous assommer de publicité traditionnelle, pour communiquer avec ses publics, Rio Tinto Alcan a fait le choix plus subtil et moins intrusif d'investir, comme elle le fait d'ailleurs depuis des décennies, dans le développement et la valorisation de notre culture. Elle a d'ailleurs fait un geste similaire en s'associant à BIXI, le nouveau service vélo libre-service de Montréal. Dans le contexte économique actuel, c'est tout à son honneur.

Quant à l'Équipe Spectra, promoteur du Festival international de jazz de Montréal, elle aussi doit, comme la plupart des promoteurs d'événements, faire face au ralentissement économique et à l'exode des centres décisionnels vers l'extérieur du Québec. Dans ce contexte, l'ensemble des promoteurs se livrent à une course effrénée pour attirer la poignée d'entreprises qui s'intéressent encore à notre culture. Pour attirer ces partenaires potentiels, il faut avoir une offre de visibilité attrayante. Alors qu'elle s'apprête à perdre GM comme commanditaire principal, et que les alumineries vivent des temps difficiles, peut-on blâmer Spectra de vouloir s'attacher son second partenaire en importance pour plusieurs années?

On pourrait rêver à un festival sans publicité, avec des spectacles gratuits financés à 100% par les deniers publics, mais ce serait une utopie. Aucun gouvernement n'acceptera d'investir dans un festival populaire s'il n'y a pas de partenaire privé. Donc pas de commanditaire, pas de festival.

C'est peut-être désagréable à entendre, mais la publicité agit comme vecteur de notre culture. C'est ce qui fait qu'on accepte volontiers 12 minutes de publicité pour regarder notre émission favorite à la télé ou que les pages de ce cahier seront en partie financées par de la publicité. C'est ce qui fait aussi que la baisse des revenus publicitaires a pour conséquence qu'on ne produit presque plus de séries télévisées d'envergure au Québec.

Le défi de la commandite consiste à maintenir le fragile équilibre entre la présence et la surabondance. Le principe de la commandite est en soi acceptable. C'est quand on verse dans la surenchère que l'équilibre est rompu.

Or, l'Équipe Spectra a toujours été extrêmement rigoureuse à cet égard, notamment en refusant de vendre la commandite en titre de son événement phare (le Festival de jazz ne s'est jamais appelé le festival Bell ou GM). La maladresse, s'il y en a une, tient au fait que les deux commandites ont été annoncées presque en même temps.

Le plus grand festival de jazz au monde a aujourd'hui sa maison à Montréal. Cette maison comprend une salle de spectacle toute neuve. Il y a quoi se réjouir. Et remercier les commanditaires.

Patrice Attanasio

L'auteur est conseiller en communication, spécialisé en commandites. Il a conseillé autant des clients dans la sélection, la gestion et l'exploitation de leurs commandites, que des propriétés dans l'élaboration de leur offre.