Si l'on en croit les journalistes et les faiseurs d'image, Michelle Obama aurait subi une transformation radicale pour se faire aimer par le public américain et devenir la star internationale acclamée partout dans le monde.

Elle aurait troqué ses habits de black angry woman qu'elle aurait été à Chicago contre ceux plus soft (et pastels), de la maman aimante et généreuse qui soutient son mari dans les moments difficiles, qui s'occupe de ses filles et de son potager (bio), en plus de défendre une cause humanitaire (à définir) pour marquer son passage à la Maison-Blanche. Sans compter qu'elleadûabandonner son poste de vice-présidente aux affaires de l'Université de Chicago pour suivre son mariàWashington! Et les journa listes de se demander ce qu'est le féminisme devenu, et si la conquête du pouvoir politique n'oblige pas des femmes, émancipées et sûres d'elles comme Michelle Obama, de transiger avec leurs principes égalitaires pour y accéder. Certes, le rôle de la première dame implique la plupart du temps de mettre en oeuvre ces qualités féminines et maternelles qu'en d'autres lieux Michelle Obama aurait reléguées au vestiaire. Mais il n'est pas indifférent qu'elle se pare de ces habits-là. Car elle s'inscrit dans une tendance lourde qui, ces dernières années, témoigne de la résurgence de ces qualités maternelles comme un des éléments de la politique pratiquée par des femmes.

 

Avant elle, Ségolène Royal a dû essuyer les critiques virulentes de certaines féministes françaises pour s'être commise en affichant publiquement son attachement à son rôle de mère, et sur le fait qu'elle en faisait la référence fondamentale de son expérience dans la vie pour briguer les suffrages populaires. C'est aussi la référence à la fameuse sacoche de Monique Jérôme-Forget: la métaphore de l'ex-ministre des Finances renvoyait au caractère rassurant de la mère de famille qui tient les cordons de la bourse et ne dépense rien qui ne soit indispensable à son bien-être. Le rôle public des femmes et leur émancipation se sont construits comme une extension de leurs fonctions maternelles tout au long du XXe siècle. Dans la plupart des grands pays occidentaux, et de façon presque simultanée au tournant du siècle dernier, les pionnières de la première vague de revendications féministes étaient des moralistes (militantes pour l'abolition de la prostitution, pour la tempérance et l'hygiénisme) en même temps et pour les mêmes raisons qu'elles étaient des suffragistes (en participant au vote, elles contribueraient à assainir la scène publique, dépravée). Leur rôle de mère était le fondement à partir duquel étaient revendiqués, et souvent obtenus, leurs nouveaux droits.

L'assignation des femmes à la famille et à la procréation, bien que largement remise en cause par la découverte de la pilule contraceptive et par l'entrée massive des femmes dans le marché de l'emploi salarié, deviennent les cibles des revendicationsféministes égalitaires. Dès lors, ces deux logiques vont se disjoindre pour donner naissance à la deuxième grande vague féministe des années 70. Rejetant d'emblée toute association avec les mouvementsmaternalistes, le mouvement féministe égalitaire gardera ses distances face à ses origines pour s'affirmer comme l'unique prétendantà l'émancipation des femmes. Plus récemment, une vision féministe contemporaine plus nuancée alimente désormais ledébat. C'est un féminisme de la compassion qui vise à l'émancipation des hommes et des femmes en faisant des qualités autrefois attribuées aux mères des valeurs universelles du care dans un monde vulnérable. La compassion y est entrevue comme une éthique du care ou du soin aux autres, de la reconnaissance de leurs besoins et du partage du pouvoir avec les autres, plutôt que sur eux ou contre eux. Nouvelle utopie? En tout cas, les gens ne s'y trompent pas, puisqu'ils choisissent de plébisciter des femmes et aussi des hommes, comme Barack Obama, qui font de cette nouvelle éthique du care leur credo politique. Michelle Obama peut continuer de cultiver son jardin et en partager les fruits (et légumes) : c'est sa politique pour changer la Terre!

YOLANDE COHEN

L'auteure est historienne à l'UQAM.